vendredi 11 avril 2008

Un ancien pompier... quel rapport ?


Fait divers : un homme est condamné pour viol et meurtre. Mais pourquoi le NouvelObs (comme d'autres médias) pense utile de préciser qu'il s'agit d'un ancien pompier ? Cette information a-t-elle un lien avec la condamnation de cet homme ? Absolument pas.

Il est ainsi courant, dans les médias comme dans les conversations de tous les jours, de parler d'un individu en l'associant à son activité professionnelle, à son lieu de naissance (personne d'origine étrangère), à sa région d'habitation, etc. Pourtant, dans de nombreux cas, cette association n'apporte aucune précision à l'information. Le fait de mettre en avant telle ou telle catégorie d'appartenance quand on retranscrit une information devrait cependant, dans le cas d'un travail journalistique sérieux, être réfléchi et pesé.

Le fait d'indiquer la profession de pompier dans le cas de cet homme ne nuit-il pas à l'image des pompiers ?

De même, indiquer qu'une personne est d'origine étrangère (généralement du Maghreb) dans un fait divers amplifie souvent l'image négative que certains peuvent avoir sur telle ou telle population et entretient des stéréotypes racistes.

vendredi 4 avril 2008

Faut-il aimer sa boite ?

Depuis 2003, l'association Ethic (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance) organise la fête de l'entreprise avec un slogan : « j'aime ma boite » (www.jaimemaboite.com).

Cette fête « a pour objectif de célébrer le rôle structurant de l’entreprise dans la vie quotidienne des salariés » selon l'association.

Pourquoi pas ?


La participation au monde du travail, structurant la vie salariés, devrait ainsi se traduire, dans chaque entreprise, à une adhésion à la « culture » de l’entreprise, regroupant l’ensemble des règles et valeurs normalement partagées par tous les salariés transformés par l’occasion en « collaborateurs ». Dans un sondage réalisé en 20031, un panel de Directeurs des Ressources Humaines jugeait ainsi que la principale condition pour le succès de l'intégration professionnelle est de savoir s'intégrer à la culture de l'entreprise (point cité par 70% des DRH), bien avant la maîtrise des process et de l’organisation du travail (53%).

Adopter la culture de l’entreprise demande à chaque individu d’adapter sa personnalité aux contraintes du fonctionnement de la société. Il ne s’agit plus alors pour la direction d’imposer autoritairement les règles de l’entreprise mais de les faire adopter « volontairement » par chaque employé. Ce changement de paradigme se transcrit dans la vie professionnelle par la mise en place de séminaires de groupe ou de stages collectifs pour transmettre la culture de l’entreprise et renforcer la cohésion du groupe. Il se traduit aussi par des séances de coaching, visant à encadrer le développement personnel de l’individu pour l’amener à mieux se fondre dans l’entreprise. Conformément aux résultats de la recherche en psychologie sociale, accompagner les employés vers une adhésion « librement » choisie (« Et si le changement vous appartenait ? », cf. figure ci-dessous) à la culture de l’entreprise permet de renforcer cet engagement individuel et de garantir une meilleure cohésion de l’ensemble du groupe. Dans cette perspective, comment ne pas s’interroger sur la probité des méthodes de coaching : « Y’a-t-il plus de démocratie dans les nouvelles méthodes de management et dans le développement personnel qui tendent à se répandre ou y’a-t-il seulement plus de sentiment de liberté ? Les nouvelles méthodes sont peut-être plus douces, mais sans doute beaucoup plus dangereuses pour la liberté individuelle que les anciennes méthodes coercitives.2 »



Dans ce modèle de management des entreprises, l’individu est donc poussé à toujours mieux s’adapter à son milieu professionnel, à fondre son identité dans la culture de l’entreprise, sous peine d’être exclu du groupe social des collaborateurs d’aujourd’hui et de demain. Les pratiques d’accompagnement individuel proposent à chaque individu une démarche réflexive destinée à mieux se comprendre soi-même et à faire évoluer sa personnalité pour être plus efficace au sein de son entreprise. On retrouve cette ambivalence dans toutes les techniques de développement personnel, la recherche du bien-être personnel étant sous-tendue par une recherche d’une meilleure efficacité au travail. L’auto-analyse se réalise en suivant une procédure qui n’est absolument pas neutre et qui amène l’individu à se positionner non pas par rapport à un soi absolu, un inaccessible idéal de personnalité mais bien par rapport à un modèle d’acteur performant de l’entreprise : « La théorie sur laquelle on s’appuie dans la pratique réflexive produit des effets de pouvoir et de transformation de l’individu. D’abord, le langage de l’intériorité utilisé préstructure la pensée sur soi, et donc la réalité du soi. Nous expliquons notre personnalité, nos comportements et nos conduites à partir d’une grille d’interprétation fournie par cette théorie. De plus ce processus de dévoilement de soi n’est pas gratuit, il sert un processus d’amélioration de soi. Aussi, la théorie de l’intériorité sur laquelle on s’appuie ne fournit pas simplement une grille de lecture pour se comprendre, elle véhicule aussi des informations et des normes sur le résultat attendu du travail sur soi. Elle désigne ce qui est souhaitable en termes de rapport à soi et à autrui.1 »

Telles des pratiques sectaires, l’individu se trouve plongé dans un processus d’endoctrinement « volontaire » encadré par des managers devenus des « coachs », par des pratiques de management utilisant des techniques de manipulation psychologiques et par une organisation qui place en avant des valeurs et des règles qui fédèrent les individus : « La régulation ne doit donc plus passer par le contrôle, mais par la référence à une même idée de l’entreprise et de son métier. Cette idée, c’est ce qu’il est convenu d’appeler la "vision" de l’entreprise. Plus qu’un projet stratégique, c’est une noble vocation, susceptible de fédérer les volontés et les imaginaires, assortie d’une ambition stimulante et de valeurs morales élevées. La vision se doit d’être grande, noble et intemporelle pour capter le désir d’idéal des membres de l’organisation, pour les fédérer autour d’un même imaginaire, pour galvaniser les énergies autour d’un sens partagé.2 »

L’intégration dans une entreprise peut alors se comparer à un véritable processus d’identification à une organisation affirmant faire le bonheur de chaque membre via un développement personnel accompagné et soutenu. Plongé dans ce monde de l’entreprise, l’individu devient adepte d’une vision, d’un groupe social qui se consolide avec le soutien de chacun. Pour trouver sa place, il convient de s’approprier les règles et les croyances du groupe et ainsi de participer à son développement. Ceux qui ne peuvent (ou ne veulent) suivre cette identification à la vision de l’entreprise se voient alors exclus de l’organisation : « On peut se demander dans quelle mesure ces pratiques managériales fondées sur le savoir-être ne participent pas d’un mouvement de dichotomisation de la société : il y aurait ceux qui auraient le potentiel (issu du capital culturel et symbolique) pour adopter le modèle comportemental de l’homme managérial, et les autres, voués à des positions subalternes, voire à l’exclusion.3 »


Dans la « charte des droits de l’entrepreneur » proposé par l'association Ethic sur son site (www.ethic.fr), on peut lire, dans l'article 7 : « L’entrepreneur sera libre de recruter ou de se séparer d’un collaborateur pour assurer la bonne marche, le développement et la pérennité de l’entreprise. »

Aimer sa boite... mais la boite se réserve la « liberté » de ne pas aimer ses employés !



1 Brunel, V. (2004). Les managers de l’âme. Editions La Découverte. Paris.

2 Brunel, V. (2004). Les managers de l’âme. Editions La Découverte. Paris.

3 Brunel, V. & Cultiaux, J. (2002). Le développement de l’individu managérial, Working Paper 77/02, Institut d’Administration et de gestion, Université Catholique de Louvain.

1 Etude TNS Sofres réalisée pour l'ESCP-EAP auprès notamment de 80 responsables ressources humaines de grandes entreprises. Décembre 2003. Résultats publiés dans Le Journal du Management (http://management.journaldunet.com)

2 Thérapies de groupe et nouvelles méthodes de management. Sur le site de l’association Recherche et Sensibilisation à la Psychologie (www.rsp38.org)

jeudi 3 avril 2008

Mac contre PC : pour la gloire (et la richesse) de Steve et Bill !

N'est-il pas étonnant de voir, à travers le monde, les utilisateurs de Macintosh et ceux de PC sous Windows mener une lutte ouverte pour prouver la supériorité de leurs machines ?

Pourquoi est-il si important pour de simples utilisateurs d'ordinateurs de soutenir la marque du fabricant ? Est-ce que cela va leur rapporter quelque chose ? Est-ce que la publicité qu'ils font leur sera payée un jour ? Qu'ont-ils a gagné ? Absolument rien !

La guerre commerciale qui oppose les constructeurs d'ordinateurs et des logiciels qui les équipent est devenue, sur toute la planète, une affaire de groupes, une lutte entre identités groupales. Pro Mac s'opposent aux Pro Pc, chaque groupe avançant des arguments plus ou moins sérieux pour affirmer la supériorité de la marque qu'il défend. Blogs, sites Internet, journaux, partage de vidéos sont ainsi les lieux de propagande gratuite, à la plus grande joie des constructeurs qui économisent de l'argent en publicité.






Selon Forbes (mars 2008), Bill Gates (Microsoft) serait le troisième homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 58 milliards de dollars. Et Steve Jobes (Apple) posséderait une fortune d'environ 5,4 milliards de dollars (189° place selon Forbes).

Une chose est donc sure, ces deux patrons ont réussi à fédérer des communautés d'utilisateurs autour de leurs marques qui sont suffisamment endoctrinés pour défendre et enrichir leur leader sans en retirer aucun avantage !

En 1928, Edward Bernays écrivait dans Propaganda : « Les nouveaux responsables commerciaux savent qu'il est possible, en s'adressant aux hommes qui composent les masses par le biais de leurs formations collectives, de susciter des courants émotionnels et psychologiques qui travailleront pour eux. »


Banderole du PSG : le pouvoir du groupe

Suite à l'emballement médiatique autour de la banderole insultante déployée durant le match PSG-Lens, le journal Libération donnait la parole à ceux qui pensent que cette banderole n'est qu'un message anodin qu'ont l'habitude de s'échanger les groupes de supporters (voir l'interview sur le site de Libération). Sur le site Arrêt sur Images, Daniel Schneidermann s'interroge alors sur ce qui serait finalement la bonne attitude à avoir face à cette banderole (voir sa chronique).

De nouveau, un petit tour du coté de la psychologie sociale permet de mieux saisir la portée du problème de cette banderole.

Dans chaque club de football professionnel, on trouve dorénavant, à coté des joueurs et de l'encadrement, des groupes de supporters regroupant plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de membres. Ces groupes animent les stades et permettent aux clubs de faire venir du monde (et donc de l'argent dans les caisses). Sans eux, sans doute, les matchs de football ne connaîtraient pas l'ambiance que l'on peut voir et entendre dans les stades.

De part le rôle que ces associations de supporters ont pris, avec la bénédiction des présidents de club, le soutien aux équipes de football a pris une dimension sociale. Les groupes de supporters ont exacerbé leurs identités de groupe : le soutien à un club n'est plus seulement un encouragement aux joueurs, dans la victoire comme dans la défaite, mais aussi et surtout un moyen d'affirmer son appartenance à une ville vis-à-vis d'autres villes de France ou d'Europe. Il ne s'agit plus d'apprécier un spectacle et de supporter les acteurs que sont les joueurs mais bien de faire valoir la suprématie de son groupe social (sa ville, son club) face aux autres groupes. Quel que soit le spectacle donné par les joueurs, seul compte la capacité pour un club, ses joueurs et ses supporters, a montré sa suprématie. L'identité de groupe a pris le pas sur l'action de supporter.

Durant un match, les groupes de supporters tendent alors, non plus a s'adresser aux joueurs pour les encourager, mais à invectiver les groupes adverses, par des chants, des sifflets et des banderoles. L'objectif est de montrer sa puissance en imposant ses chants et en envoyant des messages publics aux autres groupes. Les joueurs ne sont finalement qu'un élément du spectacle que construisent les groupes de supporters dans les tribunes. Chaque groupe est d'ailleurs affecté à une place dans les tribunes pour que rien ne soit laissé au hasard.

Cette dérive psychosociale entre alors en opposition avec une partie du public qui vient seulement assister à un spectacle, qui soutient son équipe mais qui espère surtout assister à un beau match. Ces individus isolés (entre amis, en famille) côtoient dans un même stade l'ensemble des groupes de supporters. La logique individuelle s'oppose à la logique de groupes.

Faut-il alors laisser les groupes de supporters pratiquer leurs joutes verbales et visuelles (voire « manuelles ») au sein des stades sous le regard du public et des téléspectateurs ? Les stades, lieux publics, doivent-ils être le lieu de ces luttes de groupes ? Sous prétexte que les groupes de supporters animent le stade (et amènent de l'argent), sont-ils libres d'exprimer publiquement leurs luttes sociales ?

Avec cette banderole et avec bien d'autres actes depuis quelques années, la réponse est clairement non. Et il appartient aux clubs et aux pouvoirs politiques de redéfinir la limite entre action de soutien à un club et lutte de groupes. Sinon, les stades deviendront de plus en plus une arène de cirque où le spectacle des joueurs passera au second plan.