mardi 27 mai 2008

La France qui se lève tôt... et qui ne manifeste pas !

Invité de RTL, le 27 mai 2008, Nicolas Sarkozy revient sur la France qui se lève tôt. Un slogan qui permet de fractionner la population en deux groupes : d'un coté les « bons » qui se lèvent tôt, qui travaillent et dont le président est le leader auto-proclamé et de l'autre « les autres » (sic) ceux qui manifestent et « cassent des abribus ».

Par cette formule, l'auditoire se voit sommer de choisir son camp : ceux qui travaillent et qui méritent la reconnaissance de l'Etat ou ceux qui ne sont pas contents et qui se classent avec les voyous qui cassent la propriété publique (les abribus). Un dichotomie qui n'a aucun sens social : on peut travailler tôt et dur et manifester pour défendre ses intérêts. Une dichotomie qui n'a qu'un sens politique : déconsidérer les manifestants (professeurs, pécheurs, ...) tout en renforçant la cohésion d'une partie de l'opinion autour de la politique du gouvernement.



lundi 19 mai 2008

Une nouvelle tromperie littéraire

Après « Survivre avec les loups », un nouveau cas de tromperie concernant une oeuvre autobiographique. Une jeune auteur américaine a inventé une histoire d'adoption et de vie dans des gangs noir-américains. Une vie sans doute plus vendeuse que sa vie de jeune bourgeoise américaine.

Voir l'article de Rue89.

Avec cette nouvelle affaire, se confirme l'idée que l'esprit critique de chacun d'entre nous doit rester en éveil permanent. Combien d'autobiographies sont-elles ainsi inventées ou même simplement romancées pour mieux se vendre ?

Combien d'histoires célèbres ou non sont-elles ainsi transformées ?

Voir le dossier sur « Les fausses histoires de l'Histoire » sur le site de zététique.

vendredi 11 avril 2008

Un ancien pompier... quel rapport ?


Fait divers : un homme est condamné pour viol et meurtre. Mais pourquoi le NouvelObs (comme d'autres médias) pense utile de préciser qu'il s'agit d'un ancien pompier ? Cette information a-t-elle un lien avec la condamnation de cet homme ? Absolument pas.

Il est ainsi courant, dans les médias comme dans les conversations de tous les jours, de parler d'un individu en l'associant à son activité professionnelle, à son lieu de naissance (personne d'origine étrangère), à sa région d'habitation, etc. Pourtant, dans de nombreux cas, cette association n'apporte aucune précision à l'information. Le fait de mettre en avant telle ou telle catégorie d'appartenance quand on retranscrit une information devrait cependant, dans le cas d'un travail journalistique sérieux, être réfléchi et pesé.

Le fait d'indiquer la profession de pompier dans le cas de cet homme ne nuit-il pas à l'image des pompiers ?

De même, indiquer qu'une personne est d'origine étrangère (généralement du Maghreb) dans un fait divers amplifie souvent l'image négative que certains peuvent avoir sur telle ou telle population et entretient des stéréotypes racistes.

vendredi 4 avril 2008

Faut-il aimer sa boite ?

Depuis 2003, l'association Ethic (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance) organise la fête de l'entreprise avec un slogan : « j'aime ma boite » (www.jaimemaboite.com).

Cette fête « a pour objectif de célébrer le rôle structurant de l’entreprise dans la vie quotidienne des salariés » selon l'association.

Pourquoi pas ?


La participation au monde du travail, structurant la vie salariés, devrait ainsi se traduire, dans chaque entreprise, à une adhésion à la « culture » de l’entreprise, regroupant l’ensemble des règles et valeurs normalement partagées par tous les salariés transformés par l’occasion en « collaborateurs ». Dans un sondage réalisé en 20031, un panel de Directeurs des Ressources Humaines jugeait ainsi que la principale condition pour le succès de l'intégration professionnelle est de savoir s'intégrer à la culture de l'entreprise (point cité par 70% des DRH), bien avant la maîtrise des process et de l’organisation du travail (53%).

Adopter la culture de l’entreprise demande à chaque individu d’adapter sa personnalité aux contraintes du fonctionnement de la société. Il ne s’agit plus alors pour la direction d’imposer autoritairement les règles de l’entreprise mais de les faire adopter « volontairement » par chaque employé. Ce changement de paradigme se transcrit dans la vie professionnelle par la mise en place de séminaires de groupe ou de stages collectifs pour transmettre la culture de l’entreprise et renforcer la cohésion du groupe. Il se traduit aussi par des séances de coaching, visant à encadrer le développement personnel de l’individu pour l’amener à mieux se fondre dans l’entreprise. Conformément aux résultats de la recherche en psychologie sociale, accompagner les employés vers une adhésion « librement » choisie (« Et si le changement vous appartenait ? », cf. figure ci-dessous) à la culture de l’entreprise permet de renforcer cet engagement individuel et de garantir une meilleure cohésion de l’ensemble du groupe. Dans cette perspective, comment ne pas s’interroger sur la probité des méthodes de coaching : « Y’a-t-il plus de démocratie dans les nouvelles méthodes de management et dans le développement personnel qui tendent à se répandre ou y’a-t-il seulement plus de sentiment de liberté ? Les nouvelles méthodes sont peut-être plus douces, mais sans doute beaucoup plus dangereuses pour la liberté individuelle que les anciennes méthodes coercitives.2 »



Dans ce modèle de management des entreprises, l’individu est donc poussé à toujours mieux s’adapter à son milieu professionnel, à fondre son identité dans la culture de l’entreprise, sous peine d’être exclu du groupe social des collaborateurs d’aujourd’hui et de demain. Les pratiques d’accompagnement individuel proposent à chaque individu une démarche réflexive destinée à mieux se comprendre soi-même et à faire évoluer sa personnalité pour être plus efficace au sein de son entreprise. On retrouve cette ambivalence dans toutes les techniques de développement personnel, la recherche du bien-être personnel étant sous-tendue par une recherche d’une meilleure efficacité au travail. L’auto-analyse se réalise en suivant une procédure qui n’est absolument pas neutre et qui amène l’individu à se positionner non pas par rapport à un soi absolu, un inaccessible idéal de personnalité mais bien par rapport à un modèle d’acteur performant de l’entreprise : « La théorie sur laquelle on s’appuie dans la pratique réflexive produit des effets de pouvoir et de transformation de l’individu. D’abord, le langage de l’intériorité utilisé préstructure la pensée sur soi, et donc la réalité du soi. Nous expliquons notre personnalité, nos comportements et nos conduites à partir d’une grille d’interprétation fournie par cette théorie. De plus ce processus de dévoilement de soi n’est pas gratuit, il sert un processus d’amélioration de soi. Aussi, la théorie de l’intériorité sur laquelle on s’appuie ne fournit pas simplement une grille de lecture pour se comprendre, elle véhicule aussi des informations et des normes sur le résultat attendu du travail sur soi. Elle désigne ce qui est souhaitable en termes de rapport à soi et à autrui.1 »

Telles des pratiques sectaires, l’individu se trouve plongé dans un processus d’endoctrinement « volontaire » encadré par des managers devenus des « coachs », par des pratiques de management utilisant des techniques de manipulation psychologiques et par une organisation qui place en avant des valeurs et des règles qui fédèrent les individus : « La régulation ne doit donc plus passer par le contrôle, mais par la référence à une même idée de l’entreprise et de son métier. Cette idée, c’est ce qu’il est convenu d’appeler la "vision" de l’entreprise. Plus qu’un projet stratégique, c’est une noble vocation, susceptible de fédérer les volontés et les imaginaires, assortie d’une ambition stimulante et de valeurs morales élevées. La vision se doit d’être grande, noble et intemporelle pour capter le désir d’idéal des membres de l’organisation, pour les fédérer autour d’un même imaginaire, pour galvaniser les énergies autour d’un sens partagé.2 »

L’intégration dans une entreprise peut alors se comparer à un véritable processus d’identification à une organisation affirmant faire le bonheur de chaque membre via un développement personnel accompagné et soutenu. Plongé dans ce monde de l’entreprise, l’individu devient adepte d’une vision, d’un groupe social qui se consolide avec le soutien de chacun. Pour trouver sa place, il convient de s’approprier les règles et les croyances du groupe et ainsi de participer à son développement. Ceux qui ne peuvent (ou ne veulent) suivre cette identification à la vision de l’entreprise se voient alors exclus de l’organisation : « On peut se demander dans quelle mesure ces pratiques managériales fondées sur le savoir-être ne participent pas d’un mouvement de dichotomisation de la société : il y aurait ceux qui auraient le potentiel (issu du capital culturel et symbolique) pour adopter le modèle comportemental de l’homme managérial, et les autres, voués à des positions subalternes, voire à l’exclusion.3 »


Dans la « charte des droits de l’entrepreneur » proposé par l'association Ethic sur son site (www.ethic.fr), on peut lire, dans l'article 7 : « L’entrepreneur sera libre de recruter ou de se séparer d’un collaborateur pour assurer la bonne marche, le développement et la pérennité de l’entreprise. »

Aimer sa boite... mais la boite se réserve la « liberté » de ne pas aimer ses employés !



1 Brunel, V. (2004). Les managers de l’âme. Editions La Découverte. Paris.

2 Brunel, V. (2004). Les managers de l’âme. Editions La Découverte. Paris.

3 Brunel, V. & Cultiaux, J. (2002). Le développement de l’individu managérial, Working Paper 77/02, Institut d’Administration et de gestion, Université Catholique de Louvain.

1 Etude TNS Sofres réalisée pour l'ESCP-EAP auprès notamment de 80 responsables ressources humaines de grandes entreprises. Décembre 2003. Résultats publiés dans Le Journal du Management (http://management.journaldunet.com)

2 Thérapies de groupe et nouvelles méthodes de management. Sur le site de l’association Recherche et Sensibilisation à la Psychologie (www.rsp38.org)

jeudi 3 avril 2008

Mac contre PC : pour la gloire (et la richesse) de Steve et Bill !

N'est-il pas étonnant de voir, à travers le monde, les utilisateurs de Macintosh et ceux de PC sous Windows mener une lutte ouverte pour prouver la supériorité de leurs machines ?

Pourquoi est-il si important pour de simples utilisateurs d'ordinateurs de soutenir la marque du fabricant ? Est-ce que cela va leur rapporter quelque chose ? Est-ce que la publicité qu'ils font leur sera payée un jour ? Qu'ont-ils a gagné ? Absolument rien !

La guerre commerciale qui oppose les constructeurs d'ordinateurs et des logiciels qui les équipent est devenue, sur toute la planète, une affaire de groupes, une lutte entre identités groupales. Pro Mac s'opposent aux Pro Pc, chaque groupe avançant des arguments plus ou moins sérieux pour affirmer la supériorité de la marque qu'il défend. Blogs, sites Internet, journaux, partage de vidéos sont ainsi les lieux de propagande gratuite, à la plus grande joie des constructeurs qui économisent de l'argent en publicité.






Selon Forbes (mars 2008), Bill Gates (Microsoft) serait le troisième homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 58 milliards de dollars. Et Steve Jobes (Apple) posséderait une fortune d'environ 5,4 milliards de dollars (189° place selon Forbes).

Une chose est donc sure, ces deux patrons ont réussi à fédérer des communautés d'utilisateurs autour de leurs marques qui sont suffisamment endoctrinés pour défendre et enrichir leur leader sans en retirer aucun avantage !

En 1928, Edward Bernays écrivait dans Propaganda : « Les nouveaux responsables commerciaux savent qu'il est possible, en s'adressant aux hommes qui composent les masses par le biais de leurs formations collectives, de susciter des courants émotionnels et psychologiques qui travailleront pour eux. »


Banderole du PSG : le pouvoir du groupe

Suite à l'emballement médiatique autour de la banderole insultante déployée durant le match PSG-Lens, le journal Libération donnait la parole à ceux qui pensent que cette banderole n'est qu'un message anodin qu'ont l'habitude de s'échanger les groupes de supporters (voir l'interview sur le site de Libération). Sur le site Arrêt sur Images, Daniel Schneidermann s'interroge alors sur ce qui serait finalement la bonne attitude à avoir face à cette banderole (voir sa chronique).

De nouveau, un petit tour du coté de la psychologie sociale permet de mieux saisir la portée du problème de cette banderole.

Dans chaque club de football professionnel, on trouve dorénavant, à coté des joueurs et de l'encadrement, des groupes de supporters regroupant plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de membres. Ces groupes animent les stades et permettent aux clubs de faire venir du monde (et donc de l'argent dans les caisses). Sans eux, sans doute, les matchs de football ne connaîtraient pas l'ambiance que l'on peut voir et entendre dans les stades.

De part le rôle que ces associations de supporters ont pris, avec la bénédiction des présidents de club, le soutien aux équipes de football a pris une dimension sociale. Les groupes de supporters ont exacerbé leurs identités de groupe : le soutien à un club n'est plus seulement un encouragement aux joueurs, dans la victoire comme dans la défaite, mais aussi et surtout un moyen d'affirmer son appartenance à une ville vis-à-vis d'autres villes de France ou d'Europe. Il ne s'agit plus d'apprécier un spectacle et de supporter les acteurs que sont les joueurs mais bien de faire valoir la suprématie de son groupe social (sa ville, son club) face aux autres groupes. Quel que soit le spectacle donné par les joueurs, seul compte la capacité pour un club, ses joueurs et ses supporters, a montré sa suprématie. L'identité de groupe a pris le pas sur l'action de supporter.

Durant un match, les groupes de supporters tendent alors, non plus a s'adresser aux joueurs pour les encourager, mais à invectiver les groupes adverses, par des chants, des sifflets et des banderoles. L'objectif est de montrer sa puissance en imposant ses chants et en envoyant des messages publics aux autres groupes. Les joueurs ne sont finalement qu'un élément du spectacle que construisent les groupes de supporters dans les tribunes. Chaque groupe est d'ailleurs affecté à une place dans les tribunes pour que rien ne soit laissé au hasard.

Cette dérive psychosociale entre alors en opposition avec une partie du public qui vient seulement assister à un spectacle, qui soutient son équipe mais qui espère surtout assister à un beau match. Ces individus isolés (entre amis, en famille) côtoient dans un même stade l'ensemble des groupes de supporters. La logique individuelle s'oppose à la logique de groupes.

Faut-il alors laisser les groupes de supporters pratiquer leurs joutes verbales et visuelles (voire « manuelles ») au sein des stades sous le regard du public et des téléspectateurs ? Les stades, lieux publics, doivent-ils être le lieu de ces luttes de groupes ? Sous prétexte que les groupes de supporters animent le stade (et amènent de l'argent), sont-ils libres d'exprimer publiquement leurs luttes sociales ?

Avec cette banderole et avec bien d'autres actes depuis quelques années, la réponse est clairement non. Et il appartient aux clubs et aux pouvoirs politiques de redéfinir la limite entre action de soutien à un club et lutte de groupes. Sinon, les stades deviendront de plus en plus une arène de cirque où le spectacle des joueurs passera au second plan.







mardi 11 mars 2008

La France qui se lève tôt

En 1928, Edward Bernays écrivait : « En politique, les méthodes de la propagande ne sont efficaces que sur les électeurs qui opèrent leur choix en fonction des préjugés et des attentes du groupe dans lequel ils se reconnaissent. La force de la position politique du chef découle bien évidemment de l'étroitesse des liens qu'il a su nouer avec ceux qui votent pour lui. »*

Depuis, les travaux de psychologie sociale ont montré le poids des effets de groupe dans la prise de décision et confirmé ainsi la théorie de Edward Bernays. L'appartenance à un groupe tend à faire agir les membres en fonction de la position centrale de ce groupe, des idées qu'il défend, des choix partagés par la majorité des membres et par ses leaders.

Durant la dernière campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a largement utilisé l'expression « la France qui se lève tôt » pour désigner ceux pour qui il souhaitait gouverner, s'il était élu. Cette expression amène alors ceux qui l'entendent et qui se reconnaissent en elle, à former, au moins le temps de la campagne présidentielle, un groupe social partageant une valeur : celle du travail. « La France qui se lève tôt » rassemble des gens de tout horizon et tend ainsi à fédérer des opinions autour de celle du leader, à savoir Nicolas Sarkozy. En s'identifiant à ceux qui se lèvent tôt, on finit par se sentir appartenir à un même groupe et, dès lors, à agir et voter en suivant l'avis de la majorité de ce groupe et celui des leaders qui le cimentent. Or il est plus gratifiant de s'affilier à ce groupe des « honnêtes travailleurs » plutôt que de revendiquer de ne pas se lever tôt ! « La France qui se lève tôt » n'est pas un simple slogan de campagne, c'est un formidable outil de propagande qui a largement contribué à la victoire de Nicolas Sarkozy.




*Propaganda. Edward Bernays.

jeudi 6 mars 2008

Survivre avec les loups : que de cerveaux trompés !

Dans le processus de perception, celui qui reçoit une information doit la comprendre mais aussi lui assigner un ensemble de caractéristiques : l'auteur, la date, son importance pour soi, etc. Ces données supplémentaires qui accompagnent le traitement d'une information aide le cerveau à l'intégrer efficacement dans son réseau de connaissances. Cela permet plus tard de retrouver cette information et de l'utiliser dans un autre contexte.

La valeur de vérité (vrai, faux) d'une information fait partie de ces données complémentaires qui s'ajoutent à l'information brute.

Dans le cas de l'histoire de la jeune fille perdue pendant la guerre et adoptée par des loups, racontée dans un livre « Survivre avec les loups », traduit en 18 langues, ce récit a été présenté initialement comme une autobiographie et a donc été intégré par des millions de lecteurs comme un témoignage supplémentaire, véridique, des horreurs de la guerre.

La sortie du film très récemment a amplifié cette perception d'un nouveau témoignage de la Shoah.


Extrait d'un article du Monde de janvier 2008

Quand la véracité du témoignage est remise en question, c'est alors tout ce travail cognitif individuel de chacun des lecteurs du livre et spectateurs du film qui est remis en cause. Et dans cette introspection « corrective », où le cerveau doit reconstruire une nouvelle vérité, les « dommages collatéraux » ne sont pas forcément négligeables : pourquoi alors ne pas remettre en question d'autres connaissances sur la Shoah ? Si ce témoignage est faux, d'autres ne le sont-ils pas aussi ? Et toutes les histoires sur les enfants-loups (voir le livre « L'énigme des enfants-loups de Serge Aroles) ?


jeudi 28 février 2008

Il faut écouter les médecins !

La santé est, à juste titre, une préoccupation essentielle pour tous les Français comme pour tous les humains. Vivre plus longtemps, en meilleure santé, est une visée rien de plus naturelle à laquelle le développement des sociétés occidentales a largement répondu avec une augmentation constante de l’espérance de vie (cf. figure). Avec les progrès de la médecine, avec des évolutions majeures dans le domaine de l’hygiène, avec un fonctionnement moderne de la société qui a inclus des mesures de prévention, de surveillance et de prise en charge solidaire des risques de santé, les Français bénéficient d’une longévité exceptionnelle et d’un état de santé général jamais atteint.

Espérance de vie en France, depuis 1950. Source : Insee

Mais, dans ce paysage reluisant de la santé publique, se véhicule un ensemble de messages qui semblent plus relever d’un suivisme de groupe que de véritables préoccupations de santé individuelle. Comment expliquer, par exemple, que la consommation de psychotropes ait explosé depuis quelques années, hissant la France à la première place dans la consommation de ce type de médicaments ? Mais « ce n'est pas seulement en matière d'anxiolytiques et d'hypnotiques que nous remportons la palme d'or, c'est aussi dans l'ensemble des autres disciplines : les antidépresseurs (médaille d'or), les neuroleptiques (médaille d'argent), les antalgiques (médaille d'argent) et surtout la catégorie Tous médicaments confondus (médaille d'or). Aux Jeux olympiques de la prescription, nous sommes vraiment les meilleurs (cf. figure). […] Aucune interprétation socio-culturodémographique, on le sait, n'est capable d'apporter une explication satisfaisante à ce fait étonnant : les médecins français prescrivent beaucoup et renouvellent beaucoup plus que leurs collègues étrangers. À cette évidence, les confrères répondent généralement qu'ils ne font que répondre à une attente et à une demande particulièrement pressantes de leurs patients.1 »

Estimation du nombre de médicaments prescrits par consultation, pour rhino-pharyngites aiguës en 1997.2

En matière de médicaments psychotropes, une enquête de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies3 a montré que 25% des femmes et 14% des hommes avaient consommé tranquillisants, somnifères ou antidépresseurs pendant l’année qui a précédé l’étude. Plus étonnant est le nombre relativement élevé d’enfants qui ont déjà utilisé des psychotropes : plus de 30% des filles (contre 12% des garçons) de 17 ans en ont déjà consommé au cours de leur enfance (la plupart du temps sur prescription d’un médecin) !

La prescription médicale ne relève donc pas exclusivement de considérations objectives, visant à répondre à un besoin médical précis et clairement identifié. Pressions des patients (comme dans le cas des antibiotiques notamment, cf. figure), accord des médecins et contexte économique (avec le pouvoir des groupes pharmaceutiques) tendent à asseoir des comportements sociaux suivis par beaucoup d’entre nous.

Estimation du pourcentage de prescriptions d’antibiotiques pour rhino-pharyngites aiguës en 1997, chez les enfants de moins de 7 ans.4

Notre dépendance vis-à-vis des médecins nous amène naturellement à souscrire aux règles et conseils promulgués par ceux qui ont en charge notre santé. Considérés comme des experts, les membres du corps médical au sens large (médecins, pharmaciens, …) apparaissent comme des leaders d’opinion sur la question de notre bien-être, influençant nos décisions et limitant fortement notre « créativité » et notre libre-arbitre dans ce domaine. Les soins dentaires en sont une illustration, tant cette spécialité médicale a réussi à imposer des comportements à la grande majorité d’entre nous.

Dans beaucoup de cabinets dentaires, par exemple, le patient n’a pas d’autres choix que de s’allonger directement sur la chaise d’opération, sans avoir eu le temps d’exposer la raison de sa visite. Ce n’est qu’une fois allongé dans une position d’infériorité manifeste que le dentiste consent à écouter ses revendications. Il peut même arriver qu’il commence par entreprendre un détartrage dentaire, même si le patient ne vient pas du tout pour cela. Pour tous les dentistes, il est évident qu’il faut absolument faire des visites régulières pour contrôler l’état de sa dentition. L’Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire explique ainsi que « l'idéal est de consulter régulièrement son dentiste, tous les six mois environ, pour un contrôle, un bilan, des soins préventifs. […] Un suivi personnalisé de qualité se met en place le plus tôt possible. Prenez rendez-vous pour votre enfant vers l'âge de 18 mois.5 » Selon un sondage réalisé en 20046, 97% des Français considèrent qu’il faut consulter son dentiste régulièrement, soit à dates fixes, soit de temps en temps pour vérifier que tout va bien. 61% des personnes interrogées ont ainsi vu leur dentiste depuis moins d’un an à la date de l’enquête. Il semblerait donc que nous, simples citoyens, ne soyons pas en mesure de savoir si nous avons un problème aux dents ou non. Ainsi, le même sondage indique que près de 60% des visites n’étaient pas liées à un problème particulier mais se traduisait seulement par un contrôle, et dans près d’un cas sur trois, par un détartrage. Le milieu médical dentaire a ainsi fait passer le message de son importance dans la santé individuelle : 78% des Français, selon le même sondage, pensent qu’il faut consulter son dentiste aussi souvent que son médecin généraliste et, pour 66% d’entre nous, le dentiste est d’ailleurs considéré comme un médecin généraliste.

La prévention des problèmes dentaires passe aussi par des comportements individuels « corrects », du point de vue des professionnels de la santé bucco-dentaire : « Pour préserver la santé de nos dents, il faut se brosser les dents trois fois par jour, 3 minutes de brossage à chaque fois.7 » Cette vérité est relayée par tous les professionnels de la santé mais aussi par les revues spécialisées, les sites Internet d’information médicale et évidemment les entreprises du secteur qui vendent brosses à dent, dentifrices et autres produits spécialisés. Les intérêts de ces derniers se confondent d’ailleurs avec ceux des médecins, les amenant à réaliser des actions d’information communes, pour notre bien… ou peut-être le leur : « Leader mondial dans le domaine des brosses à dents et des dentifrices, Colgate s'investit chaque jour pour que petits et grands conservent des dents et gencives saines. Son expertise dans le domaine de la santé bucco-dentaire l'a naturellement conduit à s'associer à l'UFSBD dans le cadre d'actions de prévention telles que "Le Mois pour la Santé de vos Dents".8 » Cette campagne de prévention a permis effectivement de faire baisser le nombre de caries dans la population, mais ce résultat passe-t-il nécessairement par une uniformisation des comportements : visites annuelles chez le dentiste avec détartrage quasi-systématique des dents, brossage des dents trois fois par jour et pendant trois minutes, utilisation de fil dentaire, mise en place d’appareils dès le plus jeune âge pour aligner la dentition au millimètre près, blanchiment des dents, … ? Ne sommes-nous pas soumis à un diktat médical de plus en plus oppressant, transformant toute différence physique en une anomalie nécessitant un suivi médical ? Au-delà d’une hygiène nécessaire (se brosser les dents aussi naturellement que se laver les mains, par exemple9), hygiène que les pouvoirs publics ont effectivement vocation à encourager pour un meilleur développement de la société, faut-il tendre vers un ensemble de comportements, en matière de santé publique, qui se normaliserait autour d’une règle imposée par des acteurs publics et privés dont les intérêts ne sont pas toujours ceux de la collectivité ?

Aujourd’hui, émettre un avis contraire aux recommandations du corps médical (ne pas emmener ses enfants systématiquement chez le médecin de famille et chez le dentiste par exemple) devient un acte socialement inacceptable, soumis à l’opprobre de ses proches. S’opposer au corps médical a toujours été un combat difficile et long. La lutte pour faire reconnaître le droit à prendre en compte la douleur des patients n’est ainsi toujours pas totalement gagnée, nombre de médecins sous-estimant encore la douleur de leurs patients10. Heureusement, dans ce domaine, de nombreux pas ont été faits, notamment dans la prise en compte de la douleur de l’enfant et du nourrisson : une étude comparative réalisée en 1988 et en 1995 auprès d’anesthésistes anglais et irlandais11 a montré que si quasi tous les médecins considéraient en 1995 que les enfants perçoivent la douleur, quel que soit leur âge, en 1988, 13% des anesthésistes estimaient encore que les nouveau-nés étaient insensibles à la douleur (et 23% ne se prononçaient pas). Plus significatif : pour des petites opérations chirurgicales, 27% seulement des anesthésistes mettaient en œuvre une anesthésie locale en 1988 contre 99% en 1995 !

Le corps médical forme ainsi un groupe social soutenu par des intérêts publics et privés puissants (notamment les laboratoires pharmaceutiques). Au sein ou en marge de ce groupe apparaissent des « communautés de pratiques », regroupant médecins, industrie pharmaceutique et patients autour de croyances spécifiques sur tel ou tel type de médicaments ou de thérapies. L’homéopathie est un exemple typique de la construction d’un groupe social basée sur une démarche médicamenteuse qui n’a jamais été scientifiquement validée ni véritablement infirmée, mais qui fédère ses adeptes convaincus du bien-fondé des solutions homéopathiques. Mais d’autres approches thérapeutiques rassemblent des communautés au sein de l’espace médical : psychanalyse, oligothérapie, phytothérapie, lithothérapie, acupuncture, etc.

Parfaitement conscient de la dépendance de la société vis-à-vis de lui, le corps médical en général entretient l’effet de groupe qui se manifeste autour de lui, fidélisant au maximum les patients. Les médecins préfèrent souvent travailler plus (souvent plus de 50h/semaine) pour garder leur maîtrise des patients plutôt que de faire diminuer le nombre de consultations ou de partager leurs horaires avec d’autres professionnels de santé. En outre, la densité de médecins n’est pas du tout égale sur tout le territoire avec des maximums sur Paris et le sud de la France, répartition laissée totalement à la responsabilité du corps médical. Dans certains départements, une visite chez un spécialiste peut ainsi s’avérer être une démarche hasardeuse avec souvent des mois d’attentes pour obtenir un rendez-vous.

Nombre moyen de consultations pour rhino-pharyngites (pour 1000 habitants) en 199712

Ce système de dépendance des patients vis-à-vis du corps médical est soutenu par les pouvoirs publics qui ont la maîtrise de la formation des médecins, via le système du numerus clausus qui fixe le nombre de médecins qui sortiront chaque année de la formation. Les patients aussi entrent dans ce jeu de dépendance, lorsque aller chez son médecin relève souvent plus de la visite de courtoisie ou d’une simple demande d’écoute que d’une véritable recherche de soins.

La médecine, par son corps médical et son industrie pharmaceutique, a résolument étendu son emprise au-delà des seuls soins thérapeutiques pour répondre à une attente sociale forte de recherche d’un meilleur confort de vie. Le vingtième siècle a vu émerger un mouvement généralisé de libération des corps qui promeut une maîtrise de son corps pour un bien-être absolu. Les nouvelles connaissances sur le fonctionnement du corps humain ont permis des avancées majeures dans cette quête de la vie sans contraintes physiques, notamment pour les femmes dans le contrôle de leur sexualité avec l’arrivée de la pilule contraceptive. Les technologies actuelles permettent ainsi de quasi supprimer les saignements menstruels via une diffusion continue d’hormones (pilules, stérilets, …). Mais ce progrès indéniable pour des millions de femmes n’est maintenant qu’un élément dans la recherche d’une maîtrise du corps. Quête du poids idéal, limitations des effets de la vieillesse (ménopause), amélioration de l’activité sexuelle, réductions des rides, remodelage de certaines parties du corps par chirurgie esthétique, dentition de stars, programmation des accouchements via des césariennes choisies, régulation des enfants turbulents par distribution de psychotropes sont autant de nouvelles attentes de la part de nos sociétés occidentales. Cette demande sociale pose alors la question de sa prise en charge par l’ensemble de la société. Est-ce au corps médical et à l’industrie pharmaceutique de répondre à cette attente, avec le risque de la traduire en un panel de maladies et de traitements médicamenteux associés ? Déjà, de nombreux laboratoires pharmaceutiques ont pris positions sur ce créneau de la « para-santé », en vantant leurs pilules pour répondre à chaque demande sociale de bien-être, traduites sous forme de maladies ou syndromes13 : psychotropes pour les enfants dès le plus jeune âge, oestrogènes pour les femmes dès 45 ans (avec des risques maintenant connus de développement de cancers du sein), testostérones pour les hommes murs, etc.

En outre, dès lors que la demande sociale en faveur d’un meilleur contrôle de son corps se développe et que des réponses médicales ou paramédicales sont proposées, est-il légitime que cette démarche soit soutenue par l’ensemble de la population via une prise en charge par les caisses d’assurance maladie et donc par la solidarité nationale ? Où se situe la limite entre réponse de la société à des problèmes médicaux et prise en charge collective de demandes individuelles d’amélioration de sa condition physique ? La question d’une médecine de confort se pose ainsi de plus en plus explicitement quand les dépenses de santé s’envolent et que le déficit des caisses d’assurance maladie se creuse d’années en années (13,2 milliards d’euros en 2004). Le choix récurrent des gouvernements français de réduire ou supprimer le remboursement d’un certain nombre de médicaments dont les effets thérapeutiques ne sont pas avérés est un indice de cette nouvelle problématique dans la gestion de la santé publique : « Ce n'est pas parce que l'on se sent mieux avec qu'ils doivent être remboursés. Le mieux-être ne doit pas être pris en charge par la solidarité nationale.14 »

L’attitude concernant la recherche du bien-être conjugue donc à la fois une décision collective de l’ensemble de la société pilotée (manipulée ?) par un secteur médical tout puissant et une responsabilité individuelle de chacun de nous dans notre appréhension de la santé et notre faculté à lutter contre une normalisation sociale des comportements. Somme toute, il nous appartient de garder un esprit critique sur nos pratiques individuelles de santé, pratiques largement influencées par un discours consensuel qui évolue plus par des pressions de lobbies médicaux et pharmaceutiques que par une véritable démarche raisonnée.

1 Patrick Lemoine. Médicaments psychotropes : le big deal ? Revue toxibase n° 1 - mars 2001.

2 Source : Etude de la prescription et de la consommation des antibiotiques en ambulatoire. Observatoire National des Prescriptions et Consommations des Médicaments - Mai 1998.

3 Enquête 2002-2003, OFDT. Disponible sur le site www.ofdt.fr

4 Source : Etude de la prescription et de la consommation des antibiotiques en ambulatoire. Observatoire National des Prescriptions et Consommations des Médicaments - Mai 1998.

5 Extrait du site Internet de l’« Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire » : www.ufsbd.fr

6 Sondage TNS-SOFRES, septembre 2004.

7 Extrait du site Internet du journal « Santé Magazine » : www.santemagazine.fr

8 Extrait du site Internet de Colgate : ohm.colgate.fr

9 Un sondage réalisé en 1999 par l’IFOP indiquait que seulement 59% des hommes se lavaient les dents au moins deux fois par jour.

10 Marquié, L., Raufaste, E., Lauque, D., Marine, C., Ecoiffier, M. & Sorum, P. (2003). Pain rating by patients and physicians : evidence of systematic pain miscalibration. Pain, 102.

11 Lima, J. de, Lloyd-Thomas, A.R., Howard, R.F., Sumner, E. & Quinn, T.M. (1996). Infant and neonatal pain: anaesthetists' perceptions and prescribing patterns. British Medical Journal.

12 Source : Etude de la prescription et de la consommation des antibiotiques en ambulatoire. Observatoire National des Prescriptions et Consommations des Médicaments - Mai 1998

13 Blech, J. (2005). Les inventeurs de maladie, manœuvres et manipulations de l’industrie pharmaceutique. Actes Sud.

14 Interview du Professeur Laurent Degos, Président de la Haute Autorité de Santé. Publié dans le journal Libération, le 16 septembre 2005.

mercredi 20 février 2008

Peut-on parler de « vote juif » ?

Suite à la diffusion sur Internet d'une vidéo polémique où on parle de « vote juif », il est utile d'examiner la pertinence d'une telle expression.

Parler de « vote juif », c'est considérer que les personnes de confession juive voteraient tous pareils, du fait même de leur choix religieux. On pourrait alors parler de « vote catholique », « vote musulman », etc.

Aux Etats-Unis, voter en fonction de son appartenance à une communauté peut effectivement amener à faire reconnaître des droits supplémentaires à cette communauté car la politique américaine reconnaît et encourage le communautarisme.

En France cependant, un groupe social ne peut obtenir des droits supplémentaires ce qui limite l'intérêt de voter en fonction de son appartenance religieuse.

Le vote individuel n'est-il alors pas influencé par son appartenance religieuse ?

Obligatoirement ! De la même manière que la classe sociale, la catégorie d'âge, le sexe, et d'autres appartenances catégorielles influencent nos choix de vie (et donc notre vote), le fait de croire ou non en Dieu et de se sentir proche d'un groupe religieux influence notre vote.

Un sondage CSA d'avril 2002* montrait ainsi que l'appartenance religieuse est corrélée avec le choix d'un candidat à l'élection présidentielle. Cela ne signifie pourtant pas qu'il y ait un lien de cause à effet entre les deux variables « pratique religieuse » et « vote ».


Une étude du CEVIPOF** étudie plus en détail le poids de la variable « religion » dans le vote politique. Le résultat :

« toutes choses égales par ailleurs, en 2002, les électeurs qui se déclarent « sans religion » ont voté 6,3 fois plus souvent pour la gauche que les catholiques pratiquants réguliers ! On le constate, c’est, et de loin, l’écart le plus important creusé par les différentes variables envisagées – presque deux fois plus grand que l’effet du statut professionnel ! Non seulement donc la prise en compte des modalités de l’appartenance sociale n’a pas fait disparaître les écarts constatés par le simple croisement de la position religieuse et du vote, mais elle les a accrus. Si les catholiques pratiquants votent à droite, ce n’est donc pas parce qu’ils sont bourgeois, mais bien parce qu’ils sont catholiques pratiquants… »

Le vote serait donc influencé par la pratique religieuse : « Etablies sur des données recueillies après la dernière élection présidentielle, les enquêtes de l’observatoire interrégional du politique pour 2002 et 2003 permettent de caractériser le vote des minorités religieuses en France. Si les catholiques (tous niveaux de pratique confondus) apparaissent bien plus à droite que la population totale, s’ils semblent désormais rejoints par les protestants, on relève combien les musulmans apparaissent tentés par la gauche, davantage même que les sans religion. »

En conclusion, l'appartenance religieuse influence le choix politique comme d'autres appartenances sociales, mais on ne peut cependant pas parler de vote communautaire car d'une part, tous les membres d'une même religion ne votent pas dans le même sens politique et d'autre part voter pour sa communauté n'a pas de sens dans une démocratie non communautariste.

**Religion et vote : « Cachez cette variable que je ne saurais voir » … par Claude DARGENT, chercheur associé au CEVIPOF

*Sondage Sortie des Urnes réalisé le 21 avril 2002 par CSA pour LA VIE. Analyse du vote au premiertour de l'élection présidentielle en fonction de la religion et de la pratique religieuse.

lundi 18 février 2008

Mise en perspective : l'histoire du SMS de Nicolas

Le NouvelObs en ligne publie le 6 février une information sur un soi-disant SMS envoyé par Sarkozy à son ex-épouse. Se pose alors le débat sur l'opportunité de publier une telle information.

Un peu de théorie sur la perception de l'information par le cerveau humain permet d'y voir plus clair :

1) Le cerveau construit des connaissances à partir des données qu'il perçoit. Ces connaissances consistent en un ensemble d'informations mémorisées et reliées les unes aux autres pour faire sens. Toute perception est ainsi filtrée, analysée, catégorisée et comparée à d'autres préalablement mémorisées avant, éventuellement, d'être assimilée dans le réseau de connaissances d'un individu. Ce réseau inclut toutes sortes d'informations : sa vie personnelle, des données sur le monde, des informations sur son environnement géographique, des procédures pour conduire, travailler, etc.

2) Certaines connaissances mémorisées incluent des informations sur la vie de ses proches : famille, amis. Ces informations sont utiles à l'être humain pour créer des liens sociaux.

Dans cette catégorie peuvent alors être incluses des informations sur la vie de personnalités, car celles-ci, avec le développement massif des médias, sont considérées comme des relations proches : on parle alors de relations « parasociales ». La star entre dans le cercle de connaissances proches et connaître sa vie privée devient légitime.

3) Dans le flot de faits dont les journalistes disposent à un moment donné, l'objectif des journalistes est de fournir au public ceux qui méritent d'être portés à notre attention et d'être insérés, à plus ou moins court terme, dans l'ensemble des connaissances des lecteurs. Le travail journalistique est ainsi de transformer les faits en une information (voir la chronique d'Elisabeth Lévy (http://www.arretsurimages.net/chroniqueur.php?id=6). Ce travail éditorial pose alors la question : faut-il publier les faits le plus objectivement possible pour laisser le lecteur libre d'en faire ce qu'il souhaite ou faut-il intégrer les faits dans une « théorie » plus générale nécessairement subjective ?

4) Dans l'épisode du SMS, sa publication brute laisse le lecteur libre de traiter cette information comme il l'entend. Or, le contenu brut de cette information amène quasi obligatoirement à la considérer comme une information sur la vie privée de Sarkozy et donc à l'intégrer dans un ensemble de connaissances sur la vie de Sarkozy. Dans ce cas, la publication paraît peu justifiable.

Il se peut cependant que ce SMS soit un indice supplémentaire d'une théorie l'interview de JF Kahn et la position de Schneidermann) qui semblerait dire que le président aurait certains travers psychologiques incompatibles avec sa fonction ! Dans ce cas, l'information sur le SMS pourrait, pour le lecteur, s'intégrer dans un ensemble de connaissances sur la politique française et sa publication en serait alors justifiée.



jeudi 7 février 2008

Téléthon : impossible d'être contre !

Tous les ans, la télévision propose une grande émission de générosité populaire pour les maladies génétiques. Le Téléthon est devenu, au fil du temps, une cérémonie nationale où chaque individu peut librement décider d’offrir de l’argent pour cette grande cause médicale. Grâce à cette émission et à l’engagement de la télévision publique, de grandes avancées thérapeutiques sont en cours pour lutter contre les maladies génétiques.


On peut toutefois s’interroger sur le rôle majeur qu’a pris le Téléthon dans la vie des Français : « Parmi une liste de grandes avancées dans le domaine de la solidarité, les Français citent d’abord la création de la Sécurité sociale (95%), devant la Déclaration internationale des droits de l’homme (85%), l’instauration du SMIC (84%), le Téléthon (80%)1 ». Il peut être surprenant de voir apparaître une émission télévisuelle et une initiative privée comme grande avancée dans le domaine de la solidarité. Rappelons en effet que le Téléthon a été lancé en 1987 par l’Association Française contre les Myopathies (AFM) avec le soutien de partenaires tels que France Télévision ou le Lions Club français. Aujourd’hui encore, l’argent récolté est entièrement géré par l’AFM dont le Conseil d’Administration reste aux mains de personnalités indépendantes de tout pouvoir public.

De fait, selon la Fondation de France, les grandes manifestations nationales comme le Téléthon représentent le second facteur qui amène les Français à effectuer un don, juste après la fidélité à des organismes auxquels on a précédemment donné. La médiatisation semble donc être un élément majeur pour la solidarité, un catalyseur de la générosité. La télévision a permis au Téléthon de constituer autour d’une cause médicale un véritable effet groupal. Pour fédérer une grande partie de la population française, l’événement intègre d’une part une émission télévisuelle attractive avec de nombreuses stars, des moments d’émotion pour renforcer l’adhésion du public et des témoignages de quidams soutenant le Téléthon et auxquels les téléspectateurs peuvent s’identifier, et, d’autre part, des actions locales sur tout le territoire pour renforcer l’engagement individuel des citoyens. Au final, la solidarité s’amplifie au sein de ce groupe social éphémère, chacun souhaitant apporter sa pierre à cet édifice et faire partie de l’événement.

1 L’Humanité. Article paru dans l'édition du 27 janvier 1993. « Sondage sur la solidarité » A propos d’un sondage SOFRES.

mardi 5 février 2008

TF1 : pour ou contre ?

Il est de bon ton de critiquer le soi-disant pouvoir de TF1 sur nos consciences. Cette chaîne serait responsable de tous les maux de notre société et les critiques fusent de toute part. D'une seule voix (apparente), la France affirme son aversion vis-à-vis de TF1.




Extrait de l'émission de France Inter « La-bas si j'y suis » 9 janvier 08


D'un coté, un discours majoritaire dénonçant la médiocrité des programmes de la chaîne.
De l'autre, un fort pourcentage de téléspectateurs qui doivent donc apprécier de regarder TF1.

Ceux qui critiquent regarderaient-ils TF1 en cachette ?

Ou y aurait-il deux France : celle qui regarde TF1 (mais qui évite de le dire) et celle qui critique TF1 (et qui évite de la regarder) ? Lutte entre deux groupes sociaux distincts ?




mardi 29 janvier 2008

Permis de conduire : peut-on s'en passer ?

Le problème de la sécurité routière était ainsi une préoccupation récurrente de nos gouvernements et l’apprentissage de la conduite en était le premier maillon. Apprendre à conduire demande en effet au moins vingt heures de conduite, en plus de l’apprentissage du code de la route. Il faut généralement compter un minimum de 1000€ pour pourvoir s’offrir le droit de conduire, un montant dépassant largement les possibilités financières de nombre de jeunes. Ces vingt heures d’apprentissage sont, de l’avis de tous, loin de suffire pour être en mesure de faire face à toute la complexité de la conduite : conduite sur autoroute, en ville, en campagne, dans les routes sinueuses de montagne, de nuit, sur des chaussées enneigées, etc. Dès lors, on considère que l’apprentissage de la conduite se réalise, une fois le permis passé, par l’expérience acquise en situation réelle. Pour quels résultats : en 2003, selon l’Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière1, on comptabilisait 90220 accidents corporels dont 6058 personnes décédées (à 30 jours), 115929 blessés dont 19207 blessés graves. Le risque d’être victime d’un accident au cours de sa vie n’est donc pas négligeable et conduire prudemment est souvent en contradiction avec l’objet même d’une voiture qui est de parcourir rapidement une distance que l’on ne peut faire raisonnablement à pied.



De même que le casque sert à réduire les risques d'une activité dangereuse, la loi tente de réduire les risques de la conduite automobile (permis de conduire, ceintures de sécurité, ...).

Tout le monde s’accorde donc sur le fait que la voiture est un outil dangereux nécessitant un permis d’utilisation. Un outil puisque la voiture n’a de but en soi, hormis des situations de compétition sportive, que de permettre de réaliser une action, en l’occurrence se déplacer rapidement d’un endroit à un autre. Dangereux puisque, outre les accidents corporels répertoriés par les institutions, elle peut être source de nombreux incidents d’utilisation : dégradation de voirie (murs, poteaux, portails, …) mais aussi petits accidents corporels non répertoriés (écrasement de pieds, pincements, …). Manier un tel outil sans faire d’erreurs relève presque du miracle.

Obtenir son permis de conduire est donc plus qu’une obligation légale, c’est aussi une nécessité vitale pour pouvoir se sortir des situations complexes de la circulation, en ville notamment. La question du coût du permis semble donc, à première vue, un problème majeur pour s’assurer que chaque conducteur l’a passé avant de prendre le volant. Un conducteur sans permis, quel crime peut-on penser. Un conducteur sans permis ? Serait-il donc possible de disposer d’une voiture sans avoir le permis ?

Comment peut-on légalement accéder à un volant ? Tout d’abord en achetant une voiture neuve ou d’occasion, auprès d’un concessionnaire, d’un garagiste ou encore de particulier à particulier. L’acte d’achat n’impose en aucune manière de posséder un permis de conduire. Il suffit de disposer de l’argent nécessaire et que le véhicule soit conforme à la réglementation via un contrôle technique récent. Acheter une voiture n’autorise cependant pas à rouler avec, tant que le véhicule n’est pas enregistré par la préfecture du département. On pourrait alors penser, que lors de cette formalité pour l’obtention de la fameuse carte grise, la préfecture (qui, ne l’oublions pas, délivre et gère les permis de conduire) contrôle que le propriétaire a bien les compétences pour conduire. Il n’en est rien puisque aucune loi n’interdit à quelqu’un qui n’aurait pas de permis d’acquérir et d’immatriculer une voiture. La loi va même plus loin puisque l'article 2.II de l'arrêté du 5 novembre 1984 portant sur l'immatriculation des véhicules indique qu'« un véhicule peut être immatriculé au nom d'un mineur.2 »

Une autre manière d’accéder à un volant est de simplement utiliser la voiture d’un proche : parent, ami, collègue, …. Un jeune sans permis empruntant la voiture de ses parents pour un petit tour du pâté de maison, un ami à qui l’on prête sa voiture sachant pertinemment (ou ignorant) que son permis n’a plus de point et n’est donc plus valable. Autant de situations de la vie courante qui participe à l’insécurité routière générale. Dans ces cas de prêt de véhicule, seul le conducteur est responsable. Le code de la route précise en effet que « le conducteur d'un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule.3 »

Dans les deux cas, accéder à un volant sans permis est relativement aisé et est laissé à la bonne conscience des individus. Peut-on ainsi compter sur la raison des propriétaires de voiture, objet complexe et dangereux, sachant la faiblesse dont peut faire preuve l’esprit humain, pour éviter de conduire sans permis ou de prêter sa voiture à une personne sans permis ? Cette inaction des pouvoirs publics traduit au contraire la vision prédominante d’une glorification de l’automobile. L’accès à un volant n’est absolument pas contrôlé alors que l’Etat dispose de solutions pour le faire : responsabiliser pénalement le propriétaire d’un véhicule, en n’autorisant l’immatriculation que sur présentation d’un permis en règle, en immobilisant toute voiture dont le propriétaire viendrait à perdre l’ensemble des points de son permis, en condamnant toute personne ayant laissé conduire sa voiture par une personne sans permis. En exigeant une responsabilisation individuelle de chaque automobiliste, tout en continuant de prôner globalement une liberté de conduite et d’achat de voitures puissantes, la société souhaite-elle réellement lutter contre les dangers de la route et les dégâts humains et environnementaux causés par les véhicules routiers ?

1 Synthèse générale de l’année 2003. Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière. http://www.securiteroutiere.gouv.fr/infos-ref/observatoire/index.html

2 Journal Officiel du 22/12/1984.

3 Article L121-1

La voiture : objet social !

On assiste depuis quelques années à un comportement des plus étranges à première vue : l’arrivée de véhicules de plus en plus gros en pleine ville. Malgré les problèmes de pollution et d’embouteillage dans toutes les grandes agglomérations d’Europe, le poids des voitures ne cessent d’augmenter. Entre 1998 et 2004, selon le cabinet d'information automobile Jato Dynamics, cité par les Echos (16/03/05), le poids moyen des véhicules (en Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) a augmenté de 9,67 %, pour atteindre 1292 kilos !

Cette évolution est principalement caractérisée par l’accroissement du nombre de véhicules tout terrain : « De plus en plus, les 4x4 représentent une part importante du marché automobile français, soit 4,6 % en 2003. Exemple frappant : en 1985, 35 modèles seulement étaient disponibles. En 2004 on compte une centaine de modèles différents. […]. En France, les ventes de 4X4 de luxe toutes marques confondues, ont progressé de 58,9 % sur les huit premiers mois de l'année par rapport à la même période en 2003.1 »

« Conclusion du marché français des tous-terrains, de plus en plus "chic" : celui qui ne pesait, il y a une vingtaine d’années, que tout juste 1% du total des ventes, est passé à 4,9% de pénétration en 2003, et à 5,4 % l’an dernier !2 »

L’automobile est donc de plus en plus lourde, ce qui, en plus de la rendre plus polluante, lui confère une dangerosité de plus en plus importante, vu l’inertie qu’elle développe. Mais ce n’est pas tout puisque ce facteur poids se conjugue avec un facteur vitesse et surtout accélération. Prenons par exemple la Peugeot 807, son accélération de l’arrêt à 100km/h est de 11,2 s. On retrouve des accélérations semblables pour la plupart des voitures3. Le 4x4 Land Cruiser de Toyota, voiture de l’année 2003, affiche une performance de 11,4 secondes pour atteindre 100km/h. 13 secondes pour la Peugeot 206, leader des ventes en France. 12 secondes pour la Renault Scenic, voiture monospace à visée familiale. Jusqu’à 8,4 secondes pour une des versions de la Volkswagen Golf ! Si on extrapole ces chiffres pour atteindre une vitesse de 50km/h, la vitesse autorisée en ville, il faut environ 5 secondes. Ce qui, après un rapide calcul, donne environ une distance de 35m. Tout conducteur est donc en mesure d’atteindre la vitesse maximale autorisée en ville en seulement 35 mètres. Sur une distance de 100 mètres, la vitesse atteinte sera alors de près de 90km/h, à partir de l’arrêt. Ces valeurs d’accélération posent un problème majeur pour la sécurité sur la route. En zone urbaine, le moindre espace libre entre deux feux tricolores laisse la possibilité à des conducteurs peu soucieux des règles de conduite de dépasser allègrement la limitation de vitesse, mettant en danger la vie des autres conducteurs et celles des piétons qui auraient la mauvaise idée de passer dans le secteur. Hors agglomération, ou dès que l’on s’écarte du centre-ville, les infrastructures routières sont de plus en plus confortables, avec des axes à plusieurs voies, des chaussées sans bosses, des virages émoussés, offrant au conducteur l’opportunité d’accélérer fortement et, dès lors, d’atteindre très rapidement des vitesses supérieures à la réglementation.

Proposer des voitures ayant des performances très élevées incitent nécessairement les conducteurs de telles voitures à utiliser ces capacités techniques. Pouvoir atteindre une vitesse élevée en quelques secondes, sans aucun effort et avec une sensation de sécurité et de puissance est une alternative contre laquelle il est difficile de lutter. Quand, de plus, l’infrastructure tend à s’adapter à l’automobile, plutôt que le contraire, avoir une conduite raisonnable, en décidant de ne pas profiter des possibilités techniques proposées par la voiture, reste une gageure. La décision d’acheter et de conduire une voiture puissante, d’utiliser toutes les options offertes pour une meilleure performance de conduite, est certes une décision personnelle et libre mais elle est aussi la résultante d’une pression sociale en faveur d’une technologie toujours plus efficiente imaginée par des constructeurs encourageant cette course à l’hyperpuissance des voitures.

Vitesse excessive (encouragée par des accélérations démesurées) et masse en augmentation sont ainsi les caractéristiques principales des voitures d’aujourd’hui, les rendant particulièrement dangereuses. Lors d’un choc, ce sont ces deux variables qui vont définir l’énergie échangée et rendre l’accident plus ou moins grave. Or la tendance en France ne conduit pas à améliorer la situation. Même si les excès de vitesse sont officiellement de plus en plus réprimés avec la mise en place de nouveaux radars, il n’en demeure pas moins que rien n’est fait pour limiter le poids des véhicules et leurs performances d’accélération4.

Sans intervention des pouvoirs publics, c’est-à-dire sans décision collective de la société, cette évolution n’est guidée que par la loi du marché.

D’un coté, les constructeurs privilégient l’évolution des performances techniques des moteurs, stimulés par des bureaux d’études dont les ingénieurs ont été formés pour améliorer sans cesse la technologie de leurs œuvres passées plutôt que d’imaginer des nouvelles pistes technologiques plus en accord avec le respect de l’environnement ou tout simplement la sécurité des individus (conducteurs mais surtout piétons, vélos, …). Dans une logique commerciale où l’acheteur est le conducteur de la voiture, il est plus simple et plus rentable pour un constructeur automobile de continuer à satisfaire l’ego du conducteur plutôt que de lui proposer une autre logique de conduite, moins individualiste. La publicité continue ainsi de vanter des valeurs de puissance et de pouvoir vis-à-vis des autres usagers de la route. « Pourquoi rouler comme tout le monde ? » questionne telle publicité pour un véhicule tout-terrain. D’autres utilisent les qualificatifs de « féline » ou de « respect » pour faire valoir le pouvoir que peut imposer telle nouvelle voiture sur les autres conducteurs (cf. figure ci-dessous).

En face des constructeurs, les automobilistes recherchent des voitures puissantes, signe de leur réussite sociale ou instrument de pouvoir sur l’espace et sur autrui, et des voitures plus solides, plus sures et donc plus lourdes afin de se protéger des autres, source de danger. Cette course à la sécurité par la dissuasion et la puissance n’est pas sans rappeler la course aux armements nucléaires que se livraient et se livrent encore certains pays. La conduite automobile est ainsi significative de la « faiblesse » de l’esprit humain : Dans sa capacité à traiter l’information et à prendre des décisions, l’être humain n’agit pas toujours de manière parfaitement raisonnée, faisant fi de ses émotions et de ses tentations. Il n’en demeure pas moins que chacun d’entre nous, automobiliste d’un jour ou de tous les jours, est responsable de son comportement. En tant que citoyen responsable, il nous appartient de lutter contre les tentations de la vitesse et contre la course à la puissance lors de l’achat puis la conduite d’une voiture.

    Exemples de publicités actuelles pour des voitures puissantes (cliquer sur les images)

Mais cette responsabilité individuelle indéniable ne soit pas éclipser que tous les messages de prévention et toutes les mesures de répression imaginables ne pourront brider les émotions individuelles et rendre les automobilistes raisonnables, si dans le même temps aucune mesure n’est prise pour limiter les sources de tentation que sont la taille croissante des voitures et leurs puissances toujours plus importantes. D’autant plus que l’utilisation de la voiture demeure inéluctable pour des millions de Français : Une enquête de la SOFRES, en 2001, révélait que près de trois conducteurs sur quatre se considéraient dépendant de leurs voitures, ce taux atteignant plus de 80% pour les personnes de moins de 50 ans5. Cette dépendance est évidemment le reflet des contraintes permanentes de déplacement (travail, activités, sorties, …) en ville comme hors agglomération. Dans un tel paysage d'usage intense de la voiture, peut-on alors imaginer que tous les conducteurs ont une conduite irréprochable, face à une tentation omniprésente de la vitesse confortée par une surpuissance des modèles proposés à la vente par les constructeurs automobiles ?

Changer le comportement des individus au volant et des constructeurs passe par des gestes forts pour adapter la voiture à la route et à son environnement (piétons, vélos, rues étroites, etc.) mais aussi pour rendre à l’automobile le simple rôle d’un outil de locomotion et non un moyen de s’affirmer socialement et de se faire plaisir. Le cerveau n’étant pas une machine raisonnable et automatique, mais au contraire largement dépendant des émotions, la tentation et le désir peuvent prendre le dessus sur la raison et la sagesse. Ce n’est qu’en supprimant les sources de tentation que pourra s’établir, en France, une diminution notable du nombre d’accidents sur la route, en stoppant et en inversant la course à la puissance. Cela passe par des solutions simples mais dont l’impact symbolique peut être majeur : limiter les vitesses maximales des voitures à 130km/h, réduire les performances d’accélération, réduire les poids et les volumes des voitures, etc.

La prise de conscience individuelle sur la façon de conduire doit s’accompagner d’une prise de position courageuse de l’opinion publique dans sa globalité, par la voie de ses représentants élus pour stopper le processus de course à la puissance, qui guidé par les pulsions des individus et la loi du marché ne peut que s’entretenir. La situation actuelle semble malheureusement traduire des positions sociétales en contradiction complète avec les objectifs d’une baisse du nombre d’accidents. L’attitude majoritaire, largement mise en avant par un ensemble d’acteurs économiques influents (constructeurs, associations d’automobilistes, garagistes, revues spécialisées, …), agissant comme des leaders, soutient clairement une glorification de l’automobile et cette position majoritaire ne laisse que peu de place à une remise en question de la toute puissance de la voiture6. A l’argument « L'Etat est censé protéger les citoyens, mais il ne remplit pas son rôle en laissant construire des voitures tueuses, inutilement rapides, fabriquées pour se mettre immédiatement en infraction », émis par Chantal Perrichon, Président de la Ligue contre la violence routière, les constructeurs répondent, via le Directeur marketing GM France (Opel), Olivier Danan : « La meilleure politique consiste à responsabiliser les conducteurs.7 »

1 Source : Caradisiac.com, 2004.

2 Source : Webcarcenter.com, 7/03/05

3 Sources : sites Internet des constructeurs, sites Internet présentant des essais de voiture (par exemple : www.autoweb-france.com).

4 Cette incohérence dans la politique de sécurité routière est d’ailleurs dénoncée par l’association APIVIR créée en 2004 et qui vise l’interdiction des véhicules trop puissants.

5 Enquête d’opinion sur la dépendance à l’automobile. SOFRES, octobre 2001.

6 Certaines structures associatives visent à lutter contre cette vision majoritaire : La Ligue Contre la Violence Routière (ww.violenceroutiere.org) ou encore l’Association Pour l'Interdiction des Véhicules Inutilement Rapides (www.apivir.org).

7 Débat du magazine 60 millions de consommateurs. Novembre 2002.