mardi 29 janvier 2008

Permis de conduire : peut-on s'en passer ?

Le problème de la sécurité routière était ainsi une préoccupation récurrente de nos gouvernements et l’apprentissage de la conduite en était le premier maillon. Apprendre à conduire demande en effet au moins vingt heures de conduite, en plus de l’apprentissage du code de la route. Il faut généralement compter un minimum de 1000€ pour pourvoir s’offrir le droit de conduire, un montant dépassant largement les possibilités financières de nombre de jeunes. Ces vingt heures d’apprentissage sont, de l’avis de tous, loin de suffire pour être en mesure de faire face à toute la complexité de la conduite : conduite sur autoroute, en ville, en campagne, dans les routes sinueuses de montagne, de nuit, sur des chaussées enneigées, etc. Dès lors, on considère que l’apprentissage de la conduite se réalise, une fois le permis passé, par l’expérience acquise en situation réelle. Pour quels résultats : en 2003, selon l’Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière1, on comptabilisait 90220 accidents corporels dont 6058 personnes décédées (à 30 jours), 115929 blessés dont 19207 blessés graves. Le risque d’être victime d’un accident au cours de sa vie n’est donc pas négligeable et conduire prudemment est souvent en contradiction avec l’objet même d’une voiture qui est de parcourir rapidement une distance que l’on ne peut faire raisonnablement à pied.



De même que le casque sert à réduire les risques d'une activité dangereuse, la loi tente de réduire les risques de la conduite automobile (permis de conduire, ceintures de sécurité, ...).

Tout le monde s’accorde donc sur le fait que la voiture est un outil dangereux nécessitant un permis d’utilisation. Un outil puisque la voiture n’a de but en soi, hormis des situations de compétition sportive, que de permettre de réaliser une action, en l’occurrence se déplacer rapidement d’un endroit à un autre. Dangereux puisque, outre les accidents corporels répertoriés par les institutions, elle peut être source de nombreux incidents d’utilisation : dégradation de voirie (murs, poteaux, portails, …) mais aussi petits accidents corporels non répertoriés (écrasement de pieds, pincements, …). Manier un tel outil sans faire d’erreurs relève presque du miracle.

Obtenir son permis de conduire est donc plus qu’une obligation légale, c’est aussi une nécessité vitale pour pouvoir se sortir des situations complexes de la circulation, en ville notamment. La question du coût du permis semble donc, à première vue, un problème majeur pour s’assurer que chaque conducteur l’a passé avant de prendre le volant. Un conducteur sans permis, quel crime peut-on penser. Un conducteur sans permis ? Serait-il donc possible de disposer d’une voiture sans avoir le permis ?

Comment peut-on légalement accéder à un volant ? Tout d’abord en achetant une voiture neuve ou d’occasion, auprès d’un concessionnaire, d’un garagiste ou encore de particulier à particulier. L’acte d’achat n’impose en aucune manière de posséder un permis de conduire. Il suffit de disposer de l’argent nécessaire et que le véhicule soit conforme à la réglementation via un contrôle technique récent. Acheter une voiture n’autorise cependant pas à rouler avec, tant que le véhicule n’est pas enregistré par la préfecture du département. On pourrait alors penser, que lors de cette formalité pour l’obtention de la fameuse carte grise, la préfecture (qui, ne l’oublions pas, délivre et gère les permis de conduire) contrôle que le propriétaire a bien les compétences pour conduire. Il n’en est rien puisque aucune loi n’interdit à quelqu’un qui n’aurait pas de permis d’acquérir et d’immatriculer une voiture. La loi va même plus loin puisque l'article 2.II de l'arrêté du 5 novembre 1984 portant sur l'immatriculation des véhicules indique qu'« un véhicule peut être immatriculé au nom d'un mineur.2 »

Une autre manière d’accéder à un volant est de simplement utiliser la voiture d’un proche : parent, ami, collègue, …. Un jeune sans permis empruntant la voiture de ses parents pour un petit tour du pâté de maison, un ami à qui l’on prête sa voiture sachant pertinemment (ou ignorant) que son permis n’a plus de point et n’est donc plus valable. Autant de situations de la vie courante qui participe à l’insécurité routière générale. Dans ces cas de prêt de véhicule, seul le conducteur est responsable. Le code de la route précise en effet que « le conducteur d'un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule.3 »

Dans les deux cas, accéder à un volant sans permis est relativement aisé et est laissé à la bonne conscience des individus. Peut-on ainsi compter sur la raison des propriétaires de voiture, objet complexe et dangereux, sachant la faiblesse dont peut faire preuve l’esprit humain, pour éviter de conduire sans permis ou de prêter sa voiture à une personne sans permis ? Cette inaction des pouvoirs publics traduit au contraire la vision prédominante d’une glorification de l’automobile. L’accès à un volant n’est absolument pas contrôlé alors que l’Etat dispose de solutions pour le faire : responsabiliser pénalement le propriétaire d’un véhicule, en n’autorisant l’immatriculation que sur présentation d’un permis en règle, en immobilisant toute voiture dont le propriétaire viendrait à perdre l’ensemble des points de son permis, en condamnant toute personne ayant laissé conduire sa voiture par une personne sans permis. En exigeant une responsabilisation individuelle de chaque automobiliste, tout en continuant de prôner globalement une liberté de conduite et d’achat de voitures puissantes, la société souhaite-elle réellement lutter contre les dangers de la route et les dégâts humains et environnementaux causés par les véhicules routiers ?

1 Synthèse générale de l’année 2003. Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière. http://www.securiteroutiere.gouv.fr/infos-ref/observatoire/index.html

2 Journal Officiel du 22/12/1984.

3 Article L121-1

La voiture : objet social !

On assiste depuis quelques années à un comportement des plus étranges à première vue : l’arrivée de véhicules de plus en plus gros en pleine ville. Malgré les problèmes de pollution et d’embouteillage dans toutes les grandes agglomérations d’Europe, le poids des voitures ne cessent d’augmenter. Entre 1998 et 2004, selon le cabinet d'information automobile Jato Dynamics, cité par les Echos (16/03/05), le poids moyen des véhicules (en Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) a augmenté de 9,67 %, pour atteindre 1292 kilos !

Cette évolution est principalement caractérisée par l’accroissement du nombre de véhicules tout terrain : « De plus en plus, les 4x4 représentent une part importante du marché automobile français, soit 4,6 % en 2003. Exemple frappant : en 1985, 35 modèles seulement étaient disponibles. En 2004 on compte une centaine de modèles différents. […]. En France, les ventes de 4X4 de luxe toutes marques confondues, ont progressé de 58,9 % sur les huit premiers mois de l'année par rapport à la même période en 2003.1 »

« Conclusion du marché français des tous-terrains, de plus en plus "chic" : celui qui ne pesait, il y a une vingtaine d’années, que tout juste 1% du total des ventes, est passé à 4,9% de pénétration en 2003, et à 5,4 % l’an dernier !2 »

L’automobile est donc de plus en plus lourde, ce qui, en plus de la rendre plus polluante, lui confère une dangerosité de plus en plus importante, vu l’inertie qu’elle développe. Mais ce n’est pas tout puisque ce facteur poids se conjugue avec un facteur vitesse et surtout accélération. Prenons par exemple la Peugeot 807, son accélération de l’arrêt à 100km/h est de 11,2 s. On retrouve des accélérations semblables pour la plupart des voitures3. Le 4x4 Land Cruiser de Toyota, voiture de l’année 2003, affiche une performance de 11,4 secondes pour atteindre 100km/h. 13 secondes pour la Peugeot 206, leader des ventes en France. 12 secondes pour la Renault Scenic, voiture monospace à visée familiale. Jusqu’à 8,4 secondes pour une des versions de la Volkswagen Golf ! Si on extrapole ces chiffres pour atteindre une vitesse de 50km/h, la vitesse autorisée en ville, il faut environ 5 secondes. Ce qui, après un rapide calcul, donne environ une distance de 35m. Tout conducteur est donc en mesure d’atteindre la vitesse maximale autorisée en ville en seulement 35 mètres. Sur une distance de 100 mètres, la vitesse atteinte sera alors de près de 90km/h, à partir de l’arrêt. Ces valeurs d’accélération posent un problème majeur pour la sécurité sur la route. En zone urbaine, le moindre espace libre entre deux feux tricolores laisse la possibilité à des conducteurs peu soucieux des règles de conduite de dépasser allègrement la limitation de vitesse, mettant en danger la vie des autres conducteurs et celles des piétons qui auraient la mauvaise idée de passer dans le secteur. Hors agglomération, ou dès que l’on s’écarte du centre-ville, les infrastructures routières sont de plus en plus confortables, avec des axes à plusieurs voies, des chaussées sans bosses, des virages émoussés, offrant au conducteur l’opportunité d’accélérer fortement et, dès lors, d’atteindre très rapidement des vitesses supérieures à la réglementation.

Proposer des voitures ayant des performances très élevées incitent nécessairement les conducteurs de telles voitures à utiliser ces capacités techniques. Pouvoir atteindre une vitesse élevée en quelques secondes, sans aucun effort et avec une sensation de sécurité et de puissance est une alternative contre laquelle il est difficile de lutter. Quand, de plus, l’infrastructure tend à s’adapter à l’automobile, plutôt que le contraire, avoir une conduite raisonnable, en décidant de ne pas profiter des possibilités techniques proposées par la voiture, reste une gageure. La décision d’acheter et de conduire une voiture puissante, d’utiliser toutes les options offertes pour une meilleure performance de conduite, est certes une décision personnelle et libre mais elle est aussi la résultante d’une pression sociale en faveur d’une technologie toujours plus efficiente imaginée par des constructeurs encourageant cette course à l’hyperpuissance des voitures.

Vitesse excessive (encouragée par des accélérations démesurées) et masse en augmentation sont ainsi les caractéristiques principales des voitures d’aujourd’hui, les rendant particulièrement dangereuses. Lors d’un choc, ce sont ces deux variables qui vont définir l’énergie échangée et rendre l’accident plus ou moins grave. Or la tendance en France ne conduit pas à améliorer la situation. Même si les excès de vitesse sont officiellement de plus en plus réprimés avec la mise en place de nouveaux radars, il n’en demeure pas moins que rien n’est fait pour limiter le poids des véhicules et leurs performances d’accélération4.

Sans intervention des pouvoirs publics, c’est-à-dire sans décision collective de la société, cette évolution n’est guidée que par la loi du marché.

D’un coté, les constructeurs privilégient l’évolution des performances techniques des moteurs, stimulés par des bureaux d’études dont les ingénieurs ont été formés pour améliorer sans cesse la technologie de leurs œuvres passées plutôt que d’imaginer des nouvelles pistes technologiques plus en accord avec le respect de l’environnement ou tout simplement la sécurité des individus (conducteurs mais surtout piétons, vélos, …). Dans une logique commerciale où l’acheteur est le conducteur de la voiture, il est plus simple et plus rentable pour un constructeur automobile de continuer à satisfaire l’ego du conducteur plutôt que de lui proposer une autre logique de conduite, moins individualiste. La publicité continue ainsi de vanter des valeurs de puissance et de pouvoir vis-à-vis des autres usagers de la route. « Pourquoi rouler comme tout le monde ? » questionne telle publicité pour un véhicule tout-terrain. D’autres utilisent les qualificatifs de « féline » ou de « respect » pour faire valoir le pouvoir que peut imposer telle nouvelle voiture sur les autres conducteurs (cf. figure ci-dessous).

En face des constructeurs, les automobilistes recherchent des voitures puissantes, signe de leur réussite sociale ou instrument de pouvoir sur l’espace et sur autrui, et des voitures plus solides, plus sures et donc plus lourdes afin de se protéger des autres, source de danger. Cette course à la sécurité par la dissuasion et la puissance n’est pas sans rappeler la course aux armements nucléaires que se livraient et se livrent encore certains pays. La conduite automobile est ainsi significative de la « faiblesse » de l’esprit humain : Dans sa capacité à traiter l’information et à prendre des décisions, l’être humain n’agit pas toujours de manière parfaitement raisonnée, faisant fi de ses émotions et de ses tentations. Il n’en demeure pas moins que chacun d’entre nous, automobiliste d’un jour ou de tous les jours, est responsable de son comportement. En tant que citoyen responsable, il nous appartient de lutter contre les tentations de la vitesse et contre la course à la puissance lors de l’achat puis la conduite d’une voiture.

    Exemples de publicités actuelles pour des voitures puissantes (cliquer sur les images)

Mais cette responsabilité individuelle indéniable ne soit pas éclipser que tous les messages de prévention et toutes les mesures de répression imaginables ne pourront brider les émotions individuelles et rendre les automobilistes raisonnables, si dans le même temps aucune mesure n’est prise pour limiter les sources de tentation que sont la taille croissante des voitures et leurs puissances toujours plus importantes. D’autant plus que l’utilisation de la voiture demeure inéluctable pour des millions de Français : Une enquête de la SOFRES, en 2001, révélait que près de trois conducteurs sur quatre se considéraient dépendant de leurs voitures, ce taux atteignant plus de 80% pour les personnes de moins de 50 ans5. Cette dépendance est évidemment le reflet des contraintes permanentes de déplacement (travail, activités, sorties, …) en ville comme hors agglomération. Dans un tel paysage d'usage intense de la voiture, peut-on alors imaginer que tous les conducteurs ont une conduite irréprochable, face à une tentation omniprésente de la vitesse confortée par une surpuissance des modèles proposés à la vente par les constructeurs automobiles ?

Changer le comportement des individus au volant et des constructeurs passe par des gestes forts pour adapter la voiture à la route et à son environnement (piétons, vélos, rues étroites, etc.) mais aussi pour rendre à l’automobile le simple rôle d’un outil de locomotion et non un moyen de s’affirmer socialement et de se faire plaisir. Le cerveau n’étant pas une machine raisonnable et automatique, mais au contraire largement dépendant des émotions, la tentation et le désir peuvent prendre le dessus sur la raison et la sagesse. Ce n’est qu’en supprimant les sources de tentation que pourra s’établir, en France, une diminution notable du nombre d’accidents sur la route, en stoppant et en inversant la course à la puissance. Cela passe par des solutions simples mais dont l’impact symbolique peut être majeur : limiter les vitesses maximales des voitures à 130km/h, réduire les performances d’accélération, réduire les poids et les volumes des voitures, etc.

La prise de conscience individuelle sur la façon de conduire doit s’accompagner d’une prise de position courageuse de l’opinion publique dans sa globalité, par la voie de ses représentants élus pour stopper le processus de course à la puissance, qui guidé par les pulsions des individus et la loi du marché ne peut que s’entretenir. La situation actuelle semble malheureusement traduire des positions sociétales en contradiction complète avec les objectifs d’une baisse du nombre d’accidents. L’attitude majoritaire, largement mise en avant par un ensemble d’acteurs économiques influents (constructeurs, associations d’automobilistes, garagistes, revues spécialisées, …), agissant comme des leaders, soutient clairement une glorification de l’automobile et cette position majoritaire ne laisse que peu de place à une remise en question de la toute puissance de la voiture6. A l’argument « L'Etat est censé protéger les citoyens, mais il ne remplit pas son rôle en laissant construire des voitures tueuses, inutilement rapides, fabriquées pour se mettre immédiatement en infraction », émis par Chantal Perrichon, Président de la Ligue contre la violence routière, les constructeurs répondent, via le Directeur marketing GM France (Opel), Olivier Danan : « La meilleure politique consiste à responsabiliser les conducteurs.7 »

1 Source : Caradisiac.com, 2004.

2 Source : Webcarcenter.com, 7/03/05

3 Sources : sites Internet des constructeurs, sites Internet présentant des essais de voiture (par exemple : www.autoweb-france.com).

4 Cette incohérence dans la politique de sécurité routière est d’ailleurs dénoncée par l’association APIVIR créée en 2004 et qui vise l’interdiction des véhicules trop puissants.

5 Enquête d’opinion sur la dépendance à l’automobile. SOFRES, octobre 2001.

6 Certaines structures associatives visent à lutter contre cette vision majoritaire : La Ligue Contre la Violence Routière (ww.violenceroutiere.org) ou encore l’Association Pour l'Interdiction des Véhicules Inutilement Rapides (www.apivir.org).

7 Débat du magazine 60 millions de consommateurs. Novembre 2002.

lundi 28 janvier 2008

Ma gauche a disparu !

En cas de problème cérébral, le cerveau peut être amené à se comporter étrangement. L'héminégligence est une des pathologies du cerveau les plus étonnantes. Elle se traduit par la perte de la notion d'une partie de son champ visuel. Le patient peut ainsi perdre la notion de gauche !

Le texte suivant reprend le début du chapitre intitulé "Tête à droite !", extrait de « L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau » d'Oliver Sacks :

« Madame S., femme intelligente d'une soixantaine d'années, a été victime d'une grave attaque qui a touché les zones antérieures profondes de son hémisphère cérébral droit. Elle a conservé toute son intelligence - et son humour.

De temps en temps, elle se plaint aux infirmières de ne pas avoir de dessert ou de café sur son plateau. Si celles-ci lui répondent : "Mais, madame S., il est là sur la gauche", elle ne semble pas comprendre et ne regarde pas à gauche. Lorsqu'elle tourne lentement la tête de façon à apercevoir le dessert dans la moitié droite intacte de son champ visuel, elle dit : "Oh, il est là ! Il n'y était pas avant." Elle a totalement perdu l'idée de "gauche" aussi bien pour ce qui concerne le monde que pour son propre corps. Quelquefois elle se plaint de recevoir des rations trop faibles, mais c'est parce qu'elle ne mange que ce qui se trouve sur la partie droite de son assiette - il ne lui vient pas à l'idée qu'il puisse aussi y avoir une partie gauche. Parfois elle se met du rouge à lèvres et se maquille la moitié droite du visage, négligeant la moitié gauche. »



On trouve une illustration de cette pathologie dans la sitcom Seinfeld :




Racisme et communautarisme : l'exemple américain

La nation américaine reconnaît tout un ensemble de groupes ethniques, religieux, sexuels, etc. et s’organise autour de ces groupes. Lors du recensement national, chaque citoyen américain doit ainsi indiquer sa ou ses « races » : blanc, noir, chinois, etc. (cf. figure ci-contre). Etre d’origine hispanique est, en outre, considéré comme un « paramètre » indépendant, une même personne pouvant être blanc hispanique ou blanc non hispanique. Ce système devient d’une complexité extrême pour ceux qui revendiquent plusieurs races. Le recensement de 2000 a ainsi identifié des personnes ayant deux, trois, quatre, cinq et même six races différentes. On trouve par exemple une population (21166 personnes) de « White, Black or African American, Asian », c’est-à-dire des individus qui revendiquent d’être à la fois blanc, noir et asiatique1.

Même si l’Etat précise que les catégories raciales ne doivent être considérées que comme des constructions socio-politiques et non comme des postulats scientifiques3, on peut légitimement estimer que, pour l’Américain moyen, être noir, blanc ou hispanique est une réalité physiologique indéniable. Pour preuve les débats existants aux Etats-Unis sur les relations sentimentales entre communautés. On peut même choisir de trouver l’âme sœur en fonction de sa race, par exemple via des sites Internet prônant les relations « interraciales » (cf. figure ci-dessous).

    Page d’accueil d’un site Internet de rencontres « interraciales »

La notion de race et plus largement de communauté (« gays », « femmes », adeptes de telle ou telle église, etc.) fonde la citoyenneté américaine. Les dérives de ce communautarisme d’Etat sont évidentes : institutionnalisation des différences raciales, fort sentiment d’identité groupale avec solidarité uniquement au sein de sa communauté, ghettoïsation des villes (avec des quartiers réservés à certaines communautés), ghettoïsation de la vie sociale (écoles par communautés, rencontres individuelles uniquement au sein des communautés, discrimination positive, etc.), orientation de la recherche fondamentale vers des problématiques communautaires (déterminer le « gêne gay » pour mieux affirmer l’identité de la communauté homosexuelle), etc.

La télévision américaine pose régièrement la question de la "légitimité" des mariages "entres races", via des reportages ou des talkshows. Par exemple :

Ou encore :


ou bien : http://fr.youtube.com/watch?v=PIyLlmV1iFw


1 Overview of Race and Hispanic Origin. Mars 2001. US Census Bureau.

2 Overview of Race and Hispanic Origin. Mars 2001. US Census Bureau.

3 « The concept of race as used by the Census Bureau reflects self-identification by people according to the race or races with which they most closely identify. These categories are sociopolitical constructs and should not be interpreted as being scientific or anthropological in nature. Furthermore, the race categories include both racial and national-origin groups. » Source : U.S. Census Bureau, 2000 Census of Population.

Consommateurs, automobilistes, contribuables... tous différents ?

Quand le gouvernement envisage une nouvelle mesure concernant la sécurité routière, on entend alors les réactions de groupe de défense des automobilistes.
Quand il s'agit d'une mesure sur les prix, ce sont les groupes de défense des consommateurs qui s'expriment.
Quand il s'agit d'impôts, les contribuables sont en colère.
Etc. etc.

La multiplication des groupes de défense de telle ou telle catégorie de personnes semble considérer que chaque individu appartient à un unique groupe social. Il est pourtant clair qu'un automobiliste est aussi un consommateur, un contribuable, et même un piéton de temps en temps !

Des réactions du genre "ce sont toujours les automobilistes qui payent" quand il s'agit de rajouter une taxe sur la consommation d'essence ou d'instaurer un péage pour financer de nouvelles constructions routières (le viaduc de Millau par exemple) sous-entendent que les automobilistes seraient des citoyens à part. Or, que la taxe soit appliquée à l'essence ou que les impôts augmentent, ce sont toujours les citoyens qui payent.

Les êtres humains ressentent toujours le besoin de s'identifier à des groupes : famille, village, travail, etc. Ces appartenances, qui ne sont pas exclusives les unes des autres et qui évoluent avec le temps, permettent à l'individu de prendre sa place dans la société et à notre cerveau d'avoir des repères pour prendre des décisions et agir.

Pour autant, quand ce processus d'appartenance groupal est formalisé dans des structures figées agissant comme autant de groupes de pression, cela remet en cause le fonctionnement même de la société pour tendre vers un communautarisme tel que celui qui fonctionne aux Etats-Unis et qui pose de grands problèmes ethiques.

Notre cerveau donne du sens à ce qu'on voit

Notre cerveau peut nous tromper mais il nous aide surtout à trier les bonnes informations et à reconnaître du signifiant dans un flot de données qui nous submerge tous les jours. La capacité extraordinaire de notre cerveau s'illustre parfaitement dans la lecture du texte ci-dessous, extrait de Harry Potter.

« Le dos cruobé, les yuex de Ddbouemlre pariineassat souuicex, inituqes, cmmoe si puor la prmeière fios de sa vie, Drlmudboee cranaigit l'aneivr. Ecliaré par une chalndlee, il emtnaa la rédiaoctn d'une letrte. Dnas le secilne qui réginat à Parlduod, les crimsneests de la pmlue rénansinoet cmome des plnietas sredous. Cmptoe tneu des évétennems de ces drneièers smenaies, nuos ne pnoovus puls arenttde. Suel l'uionn de nos pruovios prroua rivleisar aevc la frcoe de Vemrodlot, vuos les aevz. Nuos dvoens recotuntesir l'orrde du phéinx. »

La lecture, comme tout processus de perception et de compréhension, est la combinaison de deux processus : l'un de déchiffrement où les premières couches du système visuel décrypte les informations présentes sur la rétine de l'oeil, l'autre de tri et d'identification qui confronte les premiers indices perceptifs décryptés avec ce que la mémoire connaît. La lecture est à la fois un processus analytique (lecture de lettres puis de phonèmes et de syllabes) et global (identification de mots).

Pour quelques précisions sur cette question de la lecture de mots mélangés et notamment sur le texte qui a circulé sur le net depuis quelques mois (« Sleon une édtue de l'Uvinertisé de Cmabrigde, l'odrre des ltteers... »), voir le site suivant (en anglais).

Et une version BD de cet effet (cliquer sur l'image pour la voir en grand) :


dimanche 27 janvier 2008

Du temps de cerveau disponible...

Notre cerveau est-il toujours en éveil ? Certaines situations ne peuvent-elles pas endormir notre perception et notre attention ?

Le petit film suivant parle de lui-même :

vendredi 25 janvier 2008

La nicotine est-elle vraiment addictive ?

Pour le bonheur de tous, la société tend de plus en plus à s’auto-imposer des règles de bonne conduite en ce qui concerne la santé et le bien-être, règles qui sont majoritairement acceptées et attendues par les individus, renforçant dans le même temps leur poids et figeant les comportements dans des pratiques normalisées. Si la liberté individuelle n’est heureusement pas remise en question (cf. figure ci-dessous), il n’en demeure pas moins que la pression sociale exerce une force telle qu’elle conduit nombre d’entre nous à nous adapter plutôt qu’à polariser l’opinion générale vers des positions minoritaires.

    llustration des dérives d’une politique de santé trop interventionniste. Extrait de la Bande Dessinée « SOS Bonheur1 » mettant en scène des individus confrontés aux obligations sociales dans différents domaines : naissance, santé, travail, …

Curieusement, alors qu’un certain consensus semble s’être établi concernant les bonnes pratiques alimentaires, beaucoup d’entre nous continuent à consommer tout un ensemble de produits reconnus comme dangereux pour la santé : alcool, tabac, cannabis, etc. Il semble plus aisé d’accepter de restreindre sa consommation de graisse ou de sucre que d’arrêter de fumer, alors que la cigarette est clairement plus nocive que quelques grammes de graisse supplémentaires. Selon le Baromêtre Santé 2000, la très grande majorité des Français (86,1%), fumeurs comme non-fumeurs, se considère pourtant bien informée sur les effets de l’usage du tabac sur la santé. Pourtant, 40% des fumeurs réguliers déclarent craindre peu ou pas du tout les maladies dues au tabac. Cette même étude indique qu’il y aurait, en France, une personne sur trois qui fumerait, occasionnellement ou régulièrement, les fumeurs occasionnels représentant moins de 20% de l’ensemble des fumeurs. Au final, il y aurait environ un quart de la population française adulte qui fumerait régulièrement, avec une moyenne de 10 à 17 cigarettes par jour selon les tranches d’âge (maximum pour les 45-54 ans). Ce comportement d’une grande partie de la population apparaît véritablement contradictoire avec la tendance actuelle généralisée d’une quête d’une santé de fer et d’une espérance de vie prolongée au maximum. Peut-on alors expliquer cette différence de comportements par un effet d’addiction du tabac, emprisonnant les fumeurs dans une dépendance physiologique à force de fumer ?

Rien n’est moins sûr : « Il est ainsi considéré que plus une attitude est centrale pour l’identité d’un individu, et plus un message persuasif attentant à son identité activera un traitement biaisé de l’information tel que l’indifférence ou l’évitement de l’information, la contre-argumentation, ou l’utilisation d’heuristiques de validité qui confirment l’attitude ou l’identité propres. C’est le cas du comportement tabagique, qui remplit une fonction identitaire autant lors de l’initiation à la consommation que pour son maintien.2 »

Etre fumeur serait donc autant un plaisir personnel qu’une démarche identitaire, d’appartenance à un groupe social. Ce sentiment d’identification offre au fumeur la sensation de partager une expérience, des idées ou des sensations avec les autres membres du groupe. Priés de sortir des lieux de travail pour fumer, les accrocs à la nicotine se retrouvent entre eux dans une zone réservée (ou même dehors), en une sorte de communion avec les autres membres de ce groupe social. Tel un rituel, les fumeurs se réunissent à différents moments de la journée, s’invitant les uns les autres pour ne pas être seul (fumer une cigarette seul dans le froid n’est pas forcément très agréable).

Réduire le désir de fumer et la difficulté de s’arrêter à une unique démarche d’identification à un groupe social serait cependant nier l’effet addictif du comportement tabagique. Selon le baromètre Santé 2000, près de 60% des fumeurs déclarent avoir envie d’arrêter de fumer et tentent fréquemment de le faire (en moyenne 8,6 arrêts d’au moins une semaine déclarés par les fumeurs réguliers). Se libérer du tabac reste donc une laborieuse démarche, à la fois du fait d’une identité groupale très forte et d’une addiction manifeste au tabac.

Cependant, ce dernier point peut aussi être questionné. Il est généralement admis par tous que la nicotine rend les fumeurs addicts (le baromètre Santé 2000 parle de « pouvoir addictif puissant de la nicotine3 »), les obligeant à fumer continuellement pour ne pas se sentir en manque, au grand bénéfice de l’industrie du tabac (et de l’industrie pharmaceutique qui peut vendre patchs et autres médicaments de désensibilisation). Or, d’après les travaux de plusieurs chercheurs, si le comportement de fumer peut effectivement être addictif (au même titre que celui de se ronger les ongles ou jouer avec ses cheveux), le pouvoir addictif de la nicotine ne serait pas aussi important que la croyance populaire l’imagine. Une étude australienne publiée en 2001 et reprenant les résultats empiriques concernant le pouvoir addictif de la nicotine, montre ainsi que la nicotine n’aurait pas plus de pouvoir sur le cerveau que des substances comme le sucre ou le sel !4 S’engageant d’avantage, d’autres estiment que, « en contradiction avec la thèse de l’addiction, la nicotine administrée sans cigarettes n’a que des effets limités sur les symptômes de sevrage. Par contre, ils sont éliminés avec efficience dans le cas d’utilisation de cigarettes sans nicotine. Il semble donc que ce pour quoi les fumeurs ressentent un besoin urgent, ce n’est pas la nicotine, mais plutôt une routine de comportement. […] [Il en advient] que les fumeurs ne sont pas addicts à la nicotine et que, pour arrêter, ils doivent se sevrer d’une habitude.5 »

Autrement dit, la difficulté de s’arrêter de fumer ne serait pas liée à la nicotine, contrairement au message répandu concernant le pouvoir addictif de la cigarette. Il n’en demeure pas moins que le tabac reste une substance nocive pour la santé et que s’arrêter de fumer reste une épreuve pour beaucoup de fumeurs. Outre l’aspect purement social du comportement de fumeur, d’autres causes pourraient expliquer cette difficulté à se libérer du tabac : « L’un des paradoxes de l’addiction au tabac est l’intensité de la dépendance au regard du faible effet addictif de la nicotine. […] Il est vraisemblable que la nicotine n’est pas la seule substance mise en jeu dans les processus addictifs du tabac. Des substances accompagnantes, qu’elles soient présentes dans le tabac ou produites par pyrosynthèse, pourraient amplifier les effets propres de la nicotine. [D’autre part] la spécificité de la consommation de tabac pourrait, au moins en partie, expliquer le paradoxe entre l’effet renforçant faible de la nicotine et l’intensité de l’addiction au tabac. Aucune drogue toxicomanogène n’est consommée à la fréquence du tabac. Chez le fumeur qui consomme un paquet de cigarettes par jour, la fréquence journalière d’inhalation est d’environ 400 (soit 11 200 inhalations par mois).6 »

Au-delà du débat encore ouvert sur le pouvoir addictif du tabac, il apparaît clairement que le sentiment identitaire des fumeurs représente une forme caractéristique des effets de groupe dans la société. En affirmant leur appartenance à un groupe social, les fumeurs réagissent alors en stigmatisant tout message anti-tabac semblant atteindre à leur identité de fumeur et en luttant contre les lois de plus en plus sévères limitant leur liberté de fumer. Selon l’enquête du Baromètre Santé 2000, plus d’un fumeur régulier sur trois déclare qu’il lui arrive de fumer dans des zones non-fumeurs (près de 50% chez les personnes de moins de 25 ans). Cependant, ce taux est en diminution d’année en année et, de plus en plus, certains fumeurs réguliers avouent être eux-mêmes gênés par la fumée des autres et sont prêts à accepter de ne plus fumer dans la plupart des lieux publics, notamment les bars et restaurants. Cette évolution des liens entre fumeurs et non-fumeurs (lié peut-être à la reconnaissance sociale des dangers du tabagisme passif) va-t-elle conduire à une marginalisation du comportement tabagique avec une remise en question complète de l’identité sociale de la majorité des fumeurs ? La consommation de cigarettes en France semble montrer le contraire, puisque, après une forte baisse de 2002 à 2004, les ventes de cigarettes se sont, de nouveau, stabilisées à partir de mi-20047.

Fumer apparaît donc comme un acte au moins autant individuel que social, un comportement où l’effet de groupe joue un rôle manifeste. Mais croyances de groupe et habitudes sociales se retrouvent aussi dans la consommation d’autres substances « dangereuses » comme par exemple l’alcool. Entre producteurs de vins, entreprises de spiritueux, consommateurs réguliers ou occasionnels, médecins, associations de lutte contre l’alcoolisme, pouvoirs publics, tout un ensemble d’acteurs interviennent dans le paysage de la consommation d’alcool en France. Pour les uns, le vin est un produit du terroir qui, consommé avec modération, peut être bénéfique à la santé. Pour les autres, l’alcool est une drogue et un poison qui tue directement ou indirectement des milliers de personnes et qui détruit des vies.

1 SOS Bonheur, n°1, Griffo, Van Hamme. 1988. Editions Dupuis. Collection Aire Libre.

2 Falomir, J.M., Mugny, G. & Invernizzi, F. (2002). Influences d’experts sur l’intention d’arrêter de fumer : contrainte persuasive et enjeux identitaires. Psychologie Française, 47-4.

3 Baromètre santé 2000. Vanves : INPES : 2001. p 116.

4 Atrens, D.M. (2001). Nicotine as an Addictive Substance: A Critical Examination of the Basic Concepts and Empirical Evidence. Journal of Drug Issues 31(2).

5 Voir l’article de Hanan Frenk et Reuven Dar, de l’Université de Tel-Aviv, dans le numéro hors-série du Nouvel Observateur : « Les nouvelles addictions ». Mai/juin 2005

6 Effets comportementaux de la nicotine chez l’animal. In « Tabac : comprendre la dépendance pour agir ». INSERM. Expertise collective, chapitre 7. 2004

7 Source : Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies. Données disponibles sur le site www.ofdt.fr.

Obésité : stop aux matières grasses ?

La recherche d’une meilleure santé et d’un corps acceptable socialement se traduit depuis plusieurs années par un ensemble de règles de vie que chacun d’entre nous tente de s’imposer, dicté par une pression sociale de plus en plus forte. De nombreux magazines proposent ainsi à leurs lecteurs un ensemble de conseils pour mieux vivre et se sentir plus beau, plus athlétique, plus sexy ou encore perdre des kilos. Au printemps 2005, la revue de vulgarisation scientifique Ca m’intéresse sortait, par exemple, un numéro spécial sur la beauté1, titrant : « les clés de la beauté en 250 questions insolites ». Etaient passés en revue tous les secrets d’une beauté parfaite, du sourire de star via différents traitements de la dentition (éclaircissement, alignement, …) aux implants mammaires en passant par un remodelage du visage ou de toute autre partie du corps. Au-delà de solutions esthétiques nécessitant des opérations souvent délicates et financièrement lourdes, au-delà de soins de santé pour répondre aux aléas de la vie, prendre soin de son corps passe aujourd’hui par une alimentation équilibrée associée à une activité physique suffisante : « D’un côté, la santé devient synonyme de beauté et de performance. Les médias s’en emparent. Comme un objectif à atteindre : être beau dans son corps devient la condition sine qua non pour se réaliser. Dans cet univers magique, le svelte, l’élancé, le musclé, le sculpté deviennent les archétypes de la réussite sociale et de bien-être intérieur. […] Quelle part de responsabilité ces modèles esthétiques ont-ils sur les dérives alimentaires et la recrudescence de certaines pathologies alimentaires chez les enfants et les adolescents ?2 » S’il est clairement admis aujourd’hui que la population grossit de plus en plus et que le nombre d’enfants en surpoids ou obèses augmente d’années en années, la réponse de la société face à cette nouvelle « épidémie » passe-t-elle par une uniformisation des comportements concernant notre bien-être ?


Sketch de Zazon sur la graisse et l'obésité

L’obésité est dorénavant mesurée par un nombre magique, l’indice de masse corporelle, calculé en divisant le poids d’une personne par sa taille au carré. Cet indice évolue, chez l’enfant, suivant une courbe complexe, présentant un pic vers l’âge de 1 an puis un minimum autour de 6 ans (un âge où l’enfant présente un poids relativement faible par rapport à sa taille). A partir de cet âge, l’indice augmente, pour se stabiliser une fois adulte : ce début de remontée de l’indice de masse corporelle est alors appelé « rebond d’adiposité » et permet d’identifier d’éventuels risques d’obésité chez l’enfant. Une remontée plus précoce est un indicateur d’une prise de poids trop importante. En moyenne, chez les personnes considérées comme obèses, le rebond d’adiposité se situe vers l’âge de 3 ans.

Le nombre élevé d’enfants obèses dans les pays occidentaux s’expliquerait alors par de mauvaises habitudes alimentaires et un mode de vie plus sédentaire. Ce constat, généralement admis par tous, a entraîné une évolution majeure des comportements alimentaires chez les populations concernées, avec la diffusion à grande échelle de conseils diététiques pour tous les âges. Ces conseils, promulgués par les pouvoirs publics (dans un souci de limitation des dépenses de santé liées à l’obésité), par les professionnels de la santé (médecins et industrie pharmaceutique) et par un réseau de diététiciens qui a su imposer sa pseudo-science des aliments, ont été largement acceptés par les opinions publiques en quête (naturelle) d’une meilleure espérance de vie. Le très fort engagement de chacun d’entre nous dans notre désir d’avoir une vie plus épanouie nous amène à nous conforter aux opinions soutenues par le corps médical3 et partagées par l’ensemble de nos concitoyens, tous associés dans une démarche sociale d’amélioration de nos modes de vie. Cette pression sociale, plus facile à accepter qu’à refuser tant le coût social et psychologique du refus est ici élevé, conduit à une normalisation des comportements à travers « un message normatif et comportemental stéréotypé et répétitif, santé – équilibre, diététique, appliqué à l’alimentation quotidienne avec un certain nombre de règles à respecter : manger varié, sain, équilibré, éviter les produits industriels trop salés ou trop sucrés, manger bio, sain, naturel, équilibrer les menus, éviter les matières grasses et sucreries, manger de nombreux fruits et légumes.4 »

Or les travaux de recherche dans le domaine de l’obésité ne sont pas toujours en accord avec le contenu de ce discours normatif. En particulier, l’impact des graisses sur l’obésité, généralement admis comme étant une évidence, est, dans l’immédiat, loin de correspondre aux résultats des études réalisées dans différents pays : « Une étude longitudinale a recherché l'influence des apports alimentaires sur l'âge du rebond d'adiposité. Seule la part d'énergie apportée par les protéines à 2 ans était associée à un rebond d'adiposité plus précoce, donc à un risque d'obésité ultérieure plus important. L'étude Bogalusa Heart study aux Etats-Unis (Nicklas et al., 19935) montre que les apports énergétiques des enfants de 10 ans ont peu changé entre 1973 et 1988. Rapportés au kg de poids corporel, les apports énergétiques diminuent, de même que les apports en lipides (g/jour ou % d'énergie). Dans le même temps, l'obésité augmentait.

Des tendances similaires sont relevées chez des jeunes enfants. Des données de la Nationwide Food Consumption Survey (NFCS) montrent que les enfants américains âgés de 3 à 5 ans consommaient moins de calories et de lipides en 1987 qu'en 1977 (Schlicker et al., 19946). Chez des enfants anglais âgés de 1,5 à 2,5 ans les apports en énergie sont passés de 1264 à 1045 kcal/jour de 1967 à 1993 (Gregory et al., 19957). Dans le même temps les lipides diminuaient, et le pourcentage de protéines augmentait. […]

En moyenne, [en France], à l'âge de 1 an, les apports en lipides sont faibles (environ 28 % de l'énergie totale consommée) et les apports en protéines sont très élevés (correspondant à 16 % environ des apports énergétiques totaux et à 3 fois les apports de sécurité exprimés en g de protéines/kg de poids corporel, préconisés par l'OMS). Cet équilibre des nutriments est très éloigné de la composition du lait maternel riche en lipides (50 % de l'énergie) et contenant une faible proportion de protéines (7 %). La composition du lait maternel est bien adaptée aux besoins élevés en énergie des enfants au début de la vie. […]

Les conseils concernant la restriction des lipides, justifiés chez l'adulte ne devraient pas s'appliquer aux enfants. Il n'existe d'ailleurs pas de recommandations en France, préconisant la réduction des graisses chez les jeunes enfants.8 »

Si les chercheurs sont donc plus que réservés sur l’impact négatif majeur des matières grasses sur l’obésité infantile9, le discours social véhiculé par les pouvoirs publics et le corps médical est pourtant celui d’une limitation drastique de la consommation de matières grasses chez les enfants. C’est ainsi que la Fédération Française de Cardiologie, dans une lettre ouverte diffusée en 2005 (cf. figure ), encourage les parents à contrôler l’alimentation de leurs enfants et en particulier à réduire la consommation de graisses : « L’excès de poids est avant tout causé par un déséquilibre entre ce que mangent nos enfants, quantitativement et qualitativement et leurs dépenses énergétiques. Dans beaucoup de familles, l’alimentation des enfants est trop riche, particulièrement en graisses et en sucre. »

Affiche publiée par la Fédération Française de Cardiologie dans le cadre de la semaine du cœur, septembre 2005.


De la même manière, le programme national Nutrition Santé, lancé par le Ministère de la Santé et des Solidarités et l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé, fournit tout un ensemble de recommandations pour les parents concernant l’alimentation de leurs enfants, dès la naissance. Là aussi, le message d’une réduction des graisses est bien présent dès le plus jeune âge :

« La deuxième phase de diversification de 8/12 mois à 3 ans. A limiter : sucre, miel et chocolat ; les aliments riches en graisse. […]

De l’enfance à la pré-adolescence (3 à 11 ans). Les matières grasses sont indispensables mais en quantité très modérée. En effet, qu’elles soient d’origine végétale (huile, mayonnaise, margarine) ou animale (beurre, crème fraîche, saindoux, graisse d’oie), elles sont toutes très caloriques.

Limitez la consommation des graisses ajoutées (sauces, beurre, graisses de cuisson et fritures…).10 »

Pourquoi une telle incohérence entre les travaux de la recherche et le comportement social ? Sans rejeter l’ensemble des conseils diététiques visant à améliorer sa condition physique, pourquoi un tel suivisme social sur des positions finalement peu justifiées ? Remettre en question l’opinion majoritaire est socialement délicat, d’autant plus qu’elle est entretenue par ceux qui sont censés garantir l’intérêt général (pouvoirs publics, médecins) : « Pour prouver que le jugement majoritaire est faux, inopérant, il faut disposer de critères autres que celui du consensus, qui s’impose d’autant mieux de lui-même que, symbolisant le vrai, il n’a plus besoin d’être mis à l’épreuve. Or il s’agit là d’une entreprise difficile, coûteuse tant socialement que psychologiquement. … A l’inverse la réponse minoritaire apparaît d’emblée douteuse, fausse.11 » Dans le cas des matières grasses notamment, remettre en question que le surpoids ne serait pas lié uniquement à un excès de graisse dans l’organisme semble contredire une vérité absolue, observable par tout un chacun en voyant les éventuels petits bourrelets de son propre corps.

« Nous avons chassé les prêtres qui prétendaient gouverner notre vie, mais… nous croyons à la propagande des laboratoires pharmaceutiques, à la rhétorique des discours de santé publique et aux déclamations des épidémiologistes, ces médecins qui ont trouvé le moyen de ne soigner les malades que par des traitements… statistiques.12 »

1 Ca m’intéresse. Hors-série n°8. Mai-juin 2005.

2 Muriel Gineste. « Soigner, prévenir… éduquer le mangeur : mythe ou réalité ? ». XVIIème congrès de l’AISLF. Tours juillet 2004.

3 Selon un sondage réalisé par TNS-SOFRES (Les patients et l’information santé) en mars 2003, 97% des gens font confiance à leur médecin en matière d’information de santé et 89% font confiance à leur pharmacien. De plus, l’information la plus attendue dans les présentoirs des cabinets de médecin est une information sur l’équilibre alimentaire (citée par 53% des personnes interrogées)

4 Etude des comportements de consommation et d’achat des viandes et volailles chez les consommateurs français. Conférence de presse du 14 avril 2005. CSA.

5 Nicklas TA, Webber LS, Srinivasan SR, Berenson GS. Secular trends in dietary intakes and cardiovascular risk factors of 10-y-old children: the Bogalusa Heart Study (1973-1988). Am J Clin Nutr. 1993 Jun;57(6):930-7.

6 Schlicker SA, Borra ST, Regan C. (1994). The weight and fitness status of United States children. Nutr Rev. 1994 Jan;52(1):11-7. Review.

7 Gregory J, Collins D, Davies P, et al. 1995. National Diet and Nutrition Survey: Children aged 1.5–4.5 years. Vol 1. Report of the Diet and Nutrition Survey. London: HMSO

8 Epidémiologie et déterminants possibles. Marie-Françoise Rolland-Cachera. 9e Congrès national des Observatoires régionaux de la santé, 28-29 septembre 2000

9 Voir aussi : Souccar, T & Robard, I. (2004) Sante, mensonges et propagande - arrêtons d'avaler n'importe quoi. Le Seuil.

10 www.mangerbouger.fr. Programme national nutrition-santé. Ministere de la Santé et des Solidarités. INPES : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. De l’enfance à la pré-adolescence (3 à 11 ans).

11 Paicheler H. et S. Moscovici (1984), Suivisme et Conversion. In Moscovici, Psychologie Sociale, Presses Universitaires de France (p156).

12 « La pathologisation de l’existence ». Intervention de Roland Gori, psychanalyste et professeur d’université, dans le numéro hors-série du Nouvel Observateur : « Les nouvelles addictions ». Mai/juin 2005.

Illusion d'Adelson

Les lacunes de nos raisonnements commencent par les difficultés de notre cerveau à percevoir la réalité de façon objective. La vision est par exemple un processus bien plus complexe qu'une simple photographie que prendrait notre oeil de son environnement. Les cellules rétiniennes de l'oeil ne sont que la première étape d'un processus élaboré où l'information qui s'affiche sur la rétine va enclencher la réaction de plusieurs couches de neurones. La reconnaissance d'une information, l'identification de ses caractéristiques (couleur, taille, ...) découlent de l'interaction de différents processus cognitifs où le contexte joue un rôle majeur : une même information sera analysée de manière différente selon le contexte dans laquelle elle est présentée. L'illusion d'Adelson est une illustration étonnante de la complexité de la vision humaine.

Les deux cases A et B paraissent être de teintes différentes, or les deux cases ont exactement les mêmes couleurs !



Des relations individuelles aux effets de groupe

S’intégrer dans des groupes plus ou moins structurés est un processus naturel chez l’être humain. L’individu se construit socialement en se confrontant à l’Autre et aux autres. Ce processus débute dès la naissance avec l’appartenance du nouveau-né à une famille restreinte qui forme son premier cercle social. Dès lors, pour mieux se définir dans un univers d’individualités, l’être humain aura tendance à se catégoriser lui-même via une multitude de groupes sociaux. Au-delà de l’univers familial qui fixe la première identité groupale, l’espace social va ensuite se complexifier, avec des groupes sociaux qui se construisent au fil du temps autour de l’individu, et où ce dernier choisira ou non de prendre sa place et son rôle : famille éloignée, groupe d’amis, bande d’adolescents, communauté religieuse, associations diverses, voisinage, village, région, équipes sportives, etc.

Cette auto-catégorisation permet à chacun de participer à la vie de la société, d’une part en se positionnant par rapport aux autres et d’autre part en participant à des projets collectifs de portée restreinte (réunion d’amis, spectateur actif d’un match de football, etc.) ou plus large (militant de parti politique, participation à une association nationale, etc.). L’individu se construit ainsi socialement en s’arrimant à des logiques d’identité groupale sans toutefois nier son libre-arbitre. Oscillant en permanence entre logique de groupe et choix purement individuel, l’individu est amené, tout au long de sa vie, à adopter des positions et des comportements de groupe (pour soutenir des attitudes ou des idées collectives) ou au contraire à décider par lui-même sans référence implicite à une identification sociale. Le passage d’une logique de raisonnement personnel à une démarche de groupe est notamment nécessaire pour tout un ensemble de situations : organiser une fête de famille, répondre collectivement à un conflit d’entreprise, organiser une action locale (club sportif par exemple), affirmer une position politique, etc.

La création d’un groupe social, formel ou non, peut apparaître dans de nombreuses situations de la vie courante, dès lors qu’un ensemble de personnes estiment partager des convictions ou des projets communs. C’est cette détection de similarités inter-individuelles qui fournit la source d’un processus de catégorisation dans un groupe : « Toute croyance peut servir d’antécédent à des individus pour commencer à se considérer comme des membres d’un groupe. […] La(les) croyance(s) antécédente(s) peut(vent) s’édifier sur la base de l’expérience réelle et de la perception ou sur la base de la confiance accordée à des sources qui diffusent ces croyances. Dans le premier cas, des individus peuvent réellement devenir conscients de leur similarité dans ce1 » que l’on pourrait appeler un développement naturel, tandis que, dans l’autre cas, une source crédible peut montrer à des individus qu’ils sont semblables et mettre en exergue leur similarité.

Ici les membres d’une même famille réunis à l’occasion d’une fête artificielle (« cousinades », anniversaire de l’arrière-grand-mère, réveillon, …) vont se considérer comme un groupe à partir du moment où ils partagent ou estiment partager des valeurs ou des expériences communes. Là de simples citoyens vont se sentir appartenir à une même communauté une fois réunis dans un stade de football pour supporter leur équipe favorite. Là encore des adolescents vont développer une identité de bande en partageant leurs croyances sur le monde ou simplement sur le quartier voisin. Croire est ainsi la source d’une démarche de regroupement, que ce soit des croyances religieuses, des valeurs de vie ou de simples croyances ponctuelles (sur la qualité d’une équipe sportive, sur la vie d’une star, etc.). « Les individus considèrent que les croyances de groupe les caractérisent comme membres du groupe et définissent les limites de ce groupe. En s’appuyant sur elles, des individus peuvent se catégoriser et être catégorisés par d’autres comme membres du groupe. L’acceptation des croyances d’un groupe est l’un des indicateurs importants de l’appartenance à un groupe. […] Les croyances de groupe peuvent être classées dans différentes catégories, bien que toutes les croyances ne satisfassent pas aux conditions requises pour être des croyances de groupe. Ainsi les croyances de groupe peuvent-elles se trouver dans les catégories de croyance suivantes : normes de groupe, valeurs de groupe, buts de groupe ou idéologie de groupe.2 »

L’individu est ainsi plongé dans un univers social où son identité associe liberté de pensée et influence sociale. Dans toutes les situations où il doit prendre des décisions, il peut choisir de se solidariser avec l’opinion de tel ou tel groupe social auquel il appartient ou au contraire décider en ignorant, dans la mesure du possible, l’influence du groupe. Même si le résultat peut se trouver similaire dans les deux cas, le processus de la prise de décision peut différer radicalement. En choisissant de suivre, par conviction ou par facilité, l’attitude d’un groupe auquel il s’est préalablement associé, l’individu entre dans une démarche d’influence sociale qui occulte les opinions externes au groupe. A l’opposé, l’individu peut adopter une démarche plus individualiste, s’ouvrant certes à d’autres opinions que celles de ses groupes habituels, mais avec la nécessité de réussir à trouver soi-même la meilleure réponse à la situation posée.



Extrait du film « Le cercle des poètes disparus3 ». Intervention du professeur de philosophie sur le conformisme :
« - Promenez-vous, c'est tout.
- Vous avez peut-être remarqué que chacun des trois est parti à sa propre allure, à son propre pas. [...] Et soudain ils ont tous marchés au pas.
- Tout ça avait pour but d'illustrer le péril du conformisme et la difficulté de préserver vos convictions quoiqu'en pensent les autres.[...] Nous avons tous besoin d'être acceptés mais soyez persuadés que vos convictions sont uniques, les vôtres, même si on les trouve anormales ou impopulaires, même si le troupeau dit "c'est mal". »

Etre solidaire de son groupe social du moment ou faire l’effort de penser par soi-même constitue le dilemme de toute prise de décision. Le cerveau humain n’étant pas parfait, souvent prisonnier de ses émotions et de son histoire, privilégier le choix personnel peut amener à des comportements individuels peu efficaces ou même dangereux (les excès de vitesse en voiture notamment). A l’inverse, le suivisme de groupe enferme l’individu dans une logique de groupe qui tend à figer des comportements communautaires ou des attitudes majoritaires peu innovantes et souvent sources de conflit inter-groupes.

1 Bar-Tal, D. (1999). Croyances, idéologie et construction du groupe. In J.C. Deschamps, J.F. Morales, D. Paez & S. Worchel. L’identité sociale, PUG, 43-67

2 Bar-Tal, D. (1999). Croyances, idéologie et construction du groupe. In J.C. Deschamps, J.F. Morales, D. Paez & S. Worchel. L’identité sociale, PUG, 43-67.

3 Dead Poets Society(1997). Un film de Peter Weir. Touchstone Pictures.