Cette évolution est principalement caractérisée par l’accroissement du nombre de véhicules tout terrain : « De plus en plus, les 4x4 représentent une part importante du marché automobile français, soit 4,6 % en 2003. Exemple frappant : en 1985, 35 modèles seulement étaient disponibles. En 2004 on compte une centaine de modèles différents. […]. En France, les ventes de 4X4 de luxe toutes marques confondues, ont progressé de 58,9 % sur les huit premiers mois de l'année par rapport à la même période en 2003.1 »
« Conclusion du marché français des tous-terrains, de plus en plus "chic" : celui qui ne pesait, il y a une vingtaine d’années, que tout juste 1% du total des ventes, est passé à 4,9% de pénétration en 2003, et à 5,4 % l’an dernier !2 »
L’automobile est donc de plus en plus lourde, ce qui, en plus de la rendre plus polluante, lui confère une dangerosité de plus en plus importante, vu l’inertie qu’elle développe. Mais ce n’est pas tout puisque ce facteur poids se conjugue avec un facteur vitesse et surtout accélération. Prenons par exemple la Peugeot 807, son accélération de l’arrêt à 100km/h est de 11,2 s. On retrouve des accélérations semblables pour la plupart des voitures3. Le 4x4 Land Cruiser de Toyota, voiture de l’année 2003, affiche une performance de 11,4 secondes pour atteindre 100km/h. 13 secondes pour la Peugeot 206, leader des ventes en France. 12 secondes pour la Renault Scenic, voiture monospace à visée familiale. Jusqu’à 8,4 secondes pour une des versions de la Volkswagen Golf ! Si on extrapole ces chiffres pour atteindre une vitesse de 50km/h, la vitesse autorisée en ville, il faut environ 5 secondes. Ce qui, après un rapide calcul, donne environ une distance de 35m. Tout conducteur est donc en mesure d’atteindre la vitesse maximale autorisée en ville en seulement 35 mètres. Sur une distance de 100 mètres, la vitesse atteinte sera alors de près de 90km/h, à partir de l’arrêt. Ces valeurs d’accélération posent un problème majeur pour la sécurité sur la route. En zone urbaine, le moindre espace libre entre deux feux tricolores laisse la possibilité à des conducteurs peu soucieux des règles de conduite de dépasser allègrement la limitation de vitesse, mettant en danger la vie des autres conducteurs et celles des piétons qui auraient la mauvaise idée de passer dans le secteur. Hors agglomération, ou dès que l’on s’écarte du centre-ville, les infrastructures routières sont de plus en plus confortables, avec des axes à plusieurs voies, des chaussées sans bosses, des virages émoussés, offrant au conducteur l’opportunité d’accélérer fortement et, dès lors, d’atteindre très rapidement des vitesses supérieures à la réglementation.
Proposer des voitures ayant des performances très élevées incitent nécessairement les conducteurs de telles voitures à utiliser ces capacités techniques. Pouvoir atteindre une vitesse élevée en quelques secondes, sans aucun effort et avec une sensation de sécurité et de puissance est une alternative contre laquelle il est difficile de lutter. Quand, de plus, l’infrastructure tend à s’adapter à l’automobile, plutôt que le contraire, avoir une conduite raisonnable, en décidant de ne pas profiter des possibilités techniques proposées par la voiture, reste une gageure. La décision d’acheter et de conduire une voiture puissante, d’utiliser toutes les options offertes pour une meilleure performance de conduite, est certes une décision personnelle et libre mais elle est aussi la résultante d’une pression sociale en faveur d’une technologie toujours plus efficiente imaginée par des constructeurs encourageant cette course à l’hyperpuissance des voitures.
Vitesse excessive (encouragée par des accélérations démesurées) et masse en augmentation sont ainsi les caractéristiques principales des voitures d’aujourd’hui, les rendant particulièrement dangereuses. Lors d’un choc, ce sont ces deux variables qui vont définir l’énergie échangée et rendre l’accident plus ou moins grave. Or la tendance en France ne conduit pas à améliorer la situation. Même si les excès de vitesse sont officiellement de plus en plus réprimés avec la mise en place de nouveaux radars, il n’en demeure pas moins que rien n’est fait pour limiter le poids des véhicules et leurs performances d’accélération4.
Sans intervention des pouvoirs publics, c’est-à-dire sans décision collective de la société, cette évolution n’est guidée que par la loi du marché.
D’un coté, les constructeurs privilégient l’évolution des performances techniques des moteurs, stimulés par des bureaux d’études dont les ingénieurs ont été formés pour améliorer sans cesse la technologie de leurs œuvres passées plutôt que d’imaginer des nouvelles pistes technologiques plus en accord avec le respect de l’environnement ou tout simplement la sécurité des individus (conducteurs mais surtout piétons, vélos, …). Dans une logique commerciale où l’acheteur est le conducteur de la voiture, il est plus simple et plus rentable pour un constructeur automobile de continuer à satisfaire l’ego du conducteur plutôt que de lui proposer une autre logique de conduite, moins individualiste. La publicité continue ainsi de vanter des valeurs de puissance et de pouvoir vis-à-vis des autres usagers de la route. « Pourquoi rouler comme tout le monde ? » questionne telle publicité pour un véhicule tout-terrain. D’autres utilisent les qualificatifs de « féline » ou de « respect » pour faire valoir le pouvoir que peut imposer telle nouvelle voiture sur les autres conducteurs (cf. figure ci-dessous).
En face des constructeurs, les automobilistes recherchent des voitures puissantes, signe de leur réussite sociale ou instrument de pouvoir sur l’espace et sur autrui, et des voitures plus solides, plus sures et donc plus lourdes afin de se protéger des autres, source de danger. Cette course à la sécurité par la dissuasion et la puissance n’est pas sans rappeler la course aux armements nucléaires que se livraient et se livrent encore certains pays. La conduite automobile est ainsi significative de la « faiblesse » de l’esprit humain : Dans sa capacité à traiter l’information et à prendre des décisions, l’être humain n’agit pas toujours de manière parfaitement raisonnée, faisant fi de ses émotions et de ses tentations. Il n’en demeure pas moins que chacun d’entre nous, automobiliste d’un jour ou de tous les jours, est responsable de son comportement. En tant que citoyen responsable, il nous appartient de lutter contre les tentations de la vitesse et contre la course à la puissance lors de l’achat puis la conduite d’une voiture.
Exemples de publicités actuelles pour des voitures puissantes (cliquer sur les images)
Mais cette responsabilité individuelle indéniable ne soit pas éclipser que tous les messages de prévention et toutes les mesures de répression imaginables ne pourront brider les émotions individuelles et rendre les automobilistes raisonnables, si dans le même temps aucune mesure n’est prise pour limiter les sources de tentation que sont la taille croissante des voitures et leurs puissances toujours plus importantes. D’autant plus que l’utilisation de la voiture demeure inéluctable pour des millions de Français : Une enquête de la SOFRES, en 2001, révélait que près de trois conducteurs sur quatre se considéraient dépendant de leurs voitures, ce taux atteignant plus de 80% pour les personnes de moins de 50 ans5. Cette dépendance est évidemment le reflet des contraintes permanentes de déplacement (travail, activités, sorties, …) en ville comme hors agglomération. Dans un tel paysage d'usage intense de la voiture, peut-on alors imaginer que tous les conducteurs ont une conduite irréprochable, face à une tentation omniprésente de la vitesse confortée par une surpuissance des modèles proposés à la vente par les constructeurs automobiles ?
Changer le comportement des individus au volant et des constructeurs passe par des gestes forts pour adapter la voiture à la route et à son environnement (piétons, vélos, rues étroites, etc.) mais aussi pour rendre à l’automobile le simple rôle d’un outil de locomotion et non un moyen de s’affirmer socialement et de se faire plaisir. Le cerveau n’étant pas une machine raisonnable et automatique, mais au contraire largement dépendant des émotions, la tentation et le désir peuvent prendre le dessus sur la raison et la sagesse. Ce n’est qu’en supprimant les sources de tentation que pourra s’établir, en France, une diminution notable du nombre d’accidents sur la route, en stoppant et en inversant la course à la puissance. Cela passe par des solutions simples mais dont l’impact symbolique peut être majeur : limiter les vitesses maximales des voitures à 130km/h, réduire les performances d’accélération, réduire les poids et les volumes des voitures, etc.
La prise de conscience individuelle sur la façon de conduire doit s’accompagner d’une prise de position courageuse de l’opinion publique dans sa globalité, par la voie de ses représentants élus pour stopper le processus de course à la puissance, qui guidé par les pulsions des individus et la loi du marché ne peut que s’entretenir. La situation actuelle semble malheureusement traduire des positions sociétales en contradiction complète avec les objectifs d’une baisse du nombre d’accidents. L’attitude majoritaire, largement mise en avant par un ensemble d’acteurs économiques influents (constructeurs, associations d’automobilistes, garagistes, revues spécialisées, …), agissant comme des leaders, soutient clairement une glorification de l’automobile et cette position majoritaire ne laisse que peu de place à une remise en question de la toute puissance de la voiture6. A l’argument « L'Etat est censé protéger les citoyens, mais il ne remplit pas son rôle en laissant construire des voitures tueuses, inutilement rapides, fabriquées pour se mettre immédiatement en infraction », émis par Chantal Perrichon, Président de la Ligue contre la violence routière, les constructeurs répondent, via le Directeur marketing GM France (Opel), Olivier Danan : « La meilleure politique consiste à responsabiliser les conducteurs.7 »
1 Source : Caradisiac.com, 2004.
2 Source : Webcarcenter.com, 7/03/05
3 Sources : sites Internet des constructeurs, sites Internet présentant des essais de voiture (par exemple : www.autoweb-france.com).
4 Cette incohérence dans la politique de sécurité routière est d’ailleurs dénoncée par l’association APIVIR créée en 2004 et qui vise l’interdiction des véhicules trop puissants.
5 Enquête d’opinion sur la dépendance à l’automobile. SOFRES, octobre 2001.
6 Certaines structures associatives visent à lutter contre cette vision majoritaire : La Ligue Contre la Violence Routière (ww.violenceroutiere.org) ou encore l’Association Pour l'Interdiction des Véhicules Inutilement Rapides (www.apivir.org).
7 Débat du magazine 60 millions de consommateurs. Novembre 2002.
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