llustration des dérives d’une politique de santé trop interventionniste. Extrait de la Bande Dessinée « SOS Bonheur1 » mettant en scène des individus confrontés aux obligations sociales dans différents domaines : naissance, santé, travail, …
Curieusement, alors qu’un certain consensus semble s’être établi concernant les bonnes pratiques alimentaires, beaucoup d’entre nous continuent à consommer tout un ensemble de produits reconnus comme dangereux pour la santé : alcool, tabac, cannabis, etc. Il semble plus aisé d’accepter de restreindre sa consommation de graisse ou de sucre que d’arrêter de fumer, alors que la cigarette est clairement plus nocive que quelques grammes de graisse supplémentaires. Selon le Baromêtre Santé 2000, la très grande majorité des Français (86,1%), fumeurs comme non-fumeurs, se considère pourtant bien informée sur les effets de l’usage du tabac sur la santé. Pourtant, 40% des fumeurs réguliers déclarent craindre peu ou pas du tout les maladies dues au tabac. Cette même étude indique qu’il y aurait, en France, une personne sur trois qui fumerait, occasionnellement ou régulièrement, les fumeurs occasionnels représentant moins de 20% de l’ensemble des fumeurs. Au final, il y aurait environ un quart de la population française adulte qui fumerait régulièrement, avec une moyenne de 10 à 17 cigarettes par jour selon les tranches d’âge (maximum pour les 45-54 ans). Ce comportement d’une grande partie de la population apparaît véritablement contradictoire avec la tendance actuelle généralisée d’une quête d’une santé de fer et d’une espérance de vie prolongée au maximum. Peut-on alors expliquer cette différence de comportements par un effet d’addiction du tabac, emprisonnant les fumeurs dans une dépendance physiologique à force de fumer ?
Rien n’est moins sûr : « Il est ainsi considéré que plus une attitude est centrale pour l’identité d’un individu, et plus un message persuasif attentant à son identité activera un traitement biaisé de l’information tel que l’indifférence ou l’évitement de l’information, la contre-argumentation, ou l’utilisation d’heuristiques de validité qui confirment l’attitude ou l’identité propres. C’est le cas du comportement tabagique, qui remplit une fonction identitaire autant lors de l’initiation à la consommation que pour son maintien.2 »
Etre fumeur serait donc autant un plaisir personnel qu’une démarche identitaire, d’appartenance à un groupe social. Ce sentiment d’identification offre au fumeur la sensation de partager une expérience, des idées ou des sensations avec les autres membres du groupe. Priés de sortir des lieux de travail pour fumer, les accrocs à la nicotine se retrouvent entre eux dans une zone réservée (ou même dehors), en une sorte de communion avec les autres membres de ce groupe social. Tel un rituel, les fumeurs se réunissent à différents moments de la journée, s’invitant les uns les autres pour ne pas être seul (fumer une cigarette seul dans le froid n’est pas forcément très agréable).
Réduire le désir de fumer et la difficulté de s’arrêter à une unique démarche d’identification à un groupe social serait cependant nier l’effet addictif du comportement tabagique. Selon le baromètre Santé 2000, près de 60% des fumeurs déclarent avoir envie d’arrêter de fumer et tentent fréquemment de le faire (en moyenne 8,6 arrêts d’au moins une semaine déclarés par les fumeurs réguliers). Se libérer du tabac reste donc une laborieuse démarche, à la fois du fait d’une identité groupale très forte et d’une addiction manifeste au tabac.
Cependant, ce dernier point peut aussi être questionné. Il est généralement admis par tous que la nicotine rend les fumeurs addicts (le baromètre Santé 2000 parle de « pouvoir addictif puissant de la nicotine3 »), les obligeant à fumer continuellement pour ne pas se sentir en manque, au grand bénéfice de l’industrie du tabac (et de l’industrie pharmaceutique qui peut vendre patchs et autres médicaments de désensibilisation). Or, d’après les travaux de plusieurs chercheurs, si le comportement de fumer peut effectivement être addictif (au même titre que celui de se ronger les ongles ou jouer avec ses cheveux), le pouvoir addictif de la nicotine ne serait pas aussi important que la croyance populaire l’imagine. Une étude australienne publiée en 2001 et reprenant les résultats empiriques concernant le pouvoir addictif de la nicotine, montre ainsi que la nicotine n’aurait pas plus de pouvoir sur le cerveau que des substances comme le sucre ou le sel !4 S’engageant d’avantage, d’autres estiment que, « en contradiction avec la thèse de l’addiction, la nicotine administrée sans cigarettes n’a que des effets limités sur les symptômes de sevrage. Par contre, ils sont éliminés avec efficience dans le cas d’utilisation de cigarettes sans nicotine. Il semble donc que ce pour quoi les fumeurs ressentent un besoin urgent, ce n’est pas la nicotine, mais plutôt une routine de comportement. […] [Il en advient] que les fumeurs ne sont pas addicts à la nicotine et que, pour arrêter, ils doivent se sevrer d’une habitude.5 »
Autrement dit, la difficulté de s’arrêter de fumer ne serait pas liée à la nicotine, contrairement au message répandu concernant le pouvoir addictif de la cigarette. Il n’en demeure pas moins que le tabac reste une substance nocive pour la santé et que s’arrêter de fumer reste une épreuve pour beaucoup de fumeurs. Outre l’aspect purement social du comportement de fumeur, d’autres causes pourraient expliquer cette difficulté à se libérer du tabac : « L’un des paradoxes de l’addiction au tabac est l’intensité de la dépendance au regard du faible effet addictif de la nicotine. […] Il est vraisemblable que la nicotine n’est pas la seule substance mise en jeu dans les processus addictifs du tabac. Des substances accompagnantes, qu’elles soient présentes dans le tabac ou produites par pyrosynthèse, pourraient amplifier les effets propres de la nicotine. [D’autre part] la spécificité de la consommation de tabac pourrait, au moins en partie, expliquer le paradoxe entre l’effet renforçant faible de la nicotine et l’intensité de l’addiction au tabac. Aucune drogue toxicomanogène n’est consommée à la fréquence du tabac. Chez le fumeur qui consomme un paquet de cigarettes par jour, la fréquence journalière d’inhalation est d’environ 400 (soit 11 200 inhalations par mois).6 »
Au-delà du débat encore ouvert sur le pouvoir addictif du tabac, il apparaît clairement que le sentiment identitaire des fumeurs représente une forme caractéristique des effets de groupe dans la société. En affirmant leur appartenance à un groupe social, les fumeurs réagissent alors en stigmatisant tout message anti-tabac semblant atteindre à leur identité de fumeur et en luttant contre les lois de plus en plus sévères limitant leur liberté de fumer. Selon l’enquête du Baromètre Santé 2000, plus d’un fumeur régulier sur trois déclare qu’il lui arrive de fumer dans des zones non-fumeurs (près de 50% chez les personnes de moins de 25 ans). Cependant, ce taux est en diminution d’année en année et, de plus en plus, certains fumeurs réguliers avouent être eux-mêmes gênés par la fumée des autres et sont prêts à accepter de ne plus fumer dans la plupart des lieux publics, notamment les bars et restaurants. Cette évolution des liens entre fumeurs et non-fumeurs (lié peut-être à la reconnaissance sociale des dangers du tabagisme passif) va-t-elle conduire à une marginalisation du comportement tabagique avec une remise en question complète de l’identité sociale de la majorité des fumeurs ? La consommation de cigarettes en France semble montrer le contraire, puisque, après une forte baisse de 2002 à 2004, les ventes de cigarettes se sont, de nouveau, stabilisées à partir de mi-20047.
Fumer apparaît donc comme un acte au moins autant individuel que social, un comportement où l’effet de groupe joue un rôle manifeste. Mais croyances de groupe et habitudes sociales se retrouvent aussi dans la consommation d’autres substances « dangereuses » comme par exemple l’alcool. Entre producteurs de vins, entreprises de spiritueux, consommateurs réguliers ou occasionnels, médecins, associations de lutte contre l’alcoolisme, pouvoirs publics, tout un ensemble d’acteurs interviennent dans le paysage de la consommation d’alcool en France. Pour les uns, le vin est un produit du terroir qui, consommé avec modération, peut être bénéfique à la santé. Pour les autres, l’alcool est une drogue et un poison qui tue directement ou indirectement des milliers de personnes et qui détruit des vies.
1 SOS Bonheur, n°1, Griffo, Van Hamme. 1988. Editions Dupuis. Collection Aire Libre.
2 Falomir, J.M., Mugny, G. & Invernizzi, F. (2002). Influences d’experts sur l’intention d’arrêter de fumer : contrainte persuasive et enjeux identitaires. Psychologie Française, 47-4.
3 Baromètre santé 2000. Vanves : INPES : 2001. p 116.
4 Atrens, D.M. (2001). Nicotine as an Addictive Substance: A Critical Examination of the Basic Concepts and Empirical Evidence. Journal of Drug Issues 31(2).
5 Voir l’article de Hanan Frenk et Reuven Dar, de l’Université de Tel-Aviv, dans le numéro hors-série du Nouvel Observateur : « Les nouvelles addictions ». Mai/juin 2005
6 Effets comportementaux de la nicotine chez l’animal. In « Tabac : comprendre la dépendance pour agir ». INSERM. Expertise collective, chapitre 7. 2004
7 Source : Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies. Données disponibles sur le site www.ofdt.fr.
1 commentaire:
Quote: ''Curieusement, alors qu’un certain consensus semble s’être établi concernant les bonnes pratiques alimentaires, beaucoup d’entre nous continuent à consommer tout un ensemble de produits reconnus comme dangereux pour la santé : alcool, tabac, cannabis, etc.''
Ah oui vraiment le Cannabis est dangereux lorsque consomer sans le fumer ?
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cannabis_m%C3%A9dical#Formes_th.C3.A9rapeutiques
Avec la vaporisation, les produits de décomposition toxiques et irritants provenant de la combustion liée à la fumée sont totalement éliminés. En-dessous du point de combustion, l’extraction et l’inhalation des huiles essentielles des cannabinoïdes issus des produits de cannabis bruts et raffinés permettent la réduction significative de l’irritation de la cavité orale, et de l’arbre de trachéo-bronchique causée par les composants pyrolytiques.
Example: http://www.mikuriya.com/vapor9.html
Par contre, l'alkaloîde du Tabac; la Nicotine, serais 3 fois plus toxique que l'arsenic et aussi toxique que le Cyanure. De plus la dépendance au Tabac ne serais pas liée a la Nicotine comme mentionné dans:
Dépendance à la nicotine : Critique d'une théorie ; Hanan Frenk et Reuven Dar, préface du Pr Robert Molimard; Paris, Belles Lettres, 2005 ; Traduction de A critique of nicotine addiction, Kluwer, 2000
En effet, il ne semble pas que les timbres transdermiques de nicotine ou la nicotine injectée aient un effet addictif, à la différence de la consommation de tabac, fumé ou non.
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