vendredi 25 janvier 2008

Obésité : stop aux matières grasses ?

La recherche d’une meilleure santé et d’un corps acceptable socialement se traduit depuis plusieurs années par un ensemble de règles de vie que chacun d’entre nous tente de s’imposer, dicté par une pression sociale de plus en plus forte. De nombreux magazines proposent ainsi à leurs lecteurs un ensemble de conseils pour mieux vivre et se sentir plus beau, plus athlétique, plus sexy ou encore perdre des kilos. Au printemps 2005, la revue de vulgarisation scientifique Ca m’intéresse sortait, par exemple, un numéro spécial sur la beauté1, titrant : « les clés de la beauté en 250 questions insolites ». Etaient passés en revue tous les secrets d’une beauté parfaite, du sourire de star via différents traitements de la dentition (éclaircissement, alignement, …) aux implants mammaires en passant par un remodelage du visage ou de toute autre partie du corps. Au-delà de solutions esthétiques nécessitant des opérations souvent délicates et financièrement lourdes, au-delà de soins de santé pour répondre aux aléas de la vie, prendre soin de son corps passe aujourd’hui par une alimentation équilibrée associée à une activité physique suffisante : « D’un côté, la santé devient synonyme de beauté et de performance. Les médias s’en emparent. Comme un objectif à atteindre : être beau dans son corps devient la condition sine qua non pour se réaliser. Dans cet univers magique, le svelte, l’élancé, le musclé, le sculpté deviennent les archétypes de la réussite sociale et de bien-être intérieur. […] Quelle part de responsabilité ces modèles esthétiques ont-ils sur les dérives alimentaires et la recrudescence de certaines pathologies alimentaires chez les enfants et les adolescents ?2 » S’il est clairement admis aujourd’hui que la population grossit de plus en plus et que le nombre d’enfants en surpoids ou obèses augmente d’années en années, la réponse de la société face à cette nouvelle « épidémie » passe-t-elle par une uniformisation des comportements concernant notre bien-être ?


Sketch de Zazon sur la graisse et l'obésité

L’obésité est dorénavant mesurée par un nombre magique, l’indice de masse corporelle, calculé en divisant le poids d’une personne par sa taille au carré. Cet indice évolue, chez l’enfant, suivant une courbe complexe, présentant un pic vers l’âge de 1 an puis un minimum autour de 6 ans (un âge où l’enfant présente un poids relativement faible par rapport à sa taille). A partir de cet âge, l’indice augmente, pour se stabiliser une fois adulte : ce début de remontée de l’indice de masse corporelle est alors appelé « rebond d’adiposité » et permet d’identifier d’éventuels risques d’obésité chez l’enfant. Une remontée plus précoce est un indicateur d’une prise de poids trop importante. En moyenne, chez les personnes considérées comme obèses, le rebond d’adiposité se situe vers l’âge de 3 ans.

Le nombre élevé d’enfants obèses dans les pays occidentaux s’expliquerait alors par de mauvaises habitudes alimentaires et un mode de vie plus sédentaire. Ce constat, généralement admis par tous, a entraîné une évolution majeure des comportements alimentaires chez les populations concernées, avec la diffusion à grande échelle de conseils diététiques pour tous les âges. Ces conseils, promulgués par les pouvoirs publics (dans un souci de limitation des dépenses de santé liées à l’obésité), par les professionnels de la santé (médecins et industrie pharmaceutique) et par un réseau de diététiciens qui a su imposer sa pseudo-science des aliments, ont été largement acceptés par les opinions publiques en quête (naturelle) d’une meilleure espérance de vie. Le très fort engagement de chacun d’entre nous dans notre désir d’avoir une vie plus épanouie nous amène à nous conforter aux opinions soutenues par le corps médical3 et partagées par l’ensemble de nos concitoyens, tous associés dans une démarche sociale d’amélioration de nos modes de vie. Cette pression sociale, plus facile à accepter qu’à refuser tant le coût social et psychologique du refus est ici élevé, conduit à une normalisation des comportements à travers « un message normatif et comportemental stéréotypé et répétitif, santé – équilibre, diététique, appliqué à l’alimentation quotidienne avec un certain nombre de règles à respecter : manger varié, sain, équilibré, éviter les produits industriels trop salés ou trop sucrés, manger bio, sain, naturel, équilibrer les menus, éviter les matières grasses et sucreries, manger de nombreux fruits et légumes.4 »

Or les travaux de recherche dans le domaine de l’obésité ne sont pas toujours en accord avec le contenu de ce discours normatif. En particulier, l’impact des graisses sur l’obésité, généralement admis comme étant une évidence, est, dans l’immédiat, loin de correspondre aux résultats des études réalisées dans différents pays : « Une étude longitudinale a recherché l'influence des apports alimentaires sur l'âge du rebond d'adiposité. Seule la part d'énergie apportée par les protéines à 2 ans était associée à un rebond d'adiposité plus précoce, donc à un risque d'obésité ultérieure plus important. L'étude Bogalusa Heart study aux Etats-Unis (Nicklas et al., 19935) montre que les apports énergétiques des enfants de 10 ans ont peu changé entre 1973 et 1988. Rapportés au kg de poids corporel, les apports énergétiques diminuent, de même que les apports en lipides (g/jour ou % d'énergie). Dans le même temps, l'obésité augmentait.

Des tendances similaires sont relevées chez des jeunes enfants. Des données de la Nationwide Food Consumption Survey (NFCS) montrent que les enfants américains âgés de 3 à 5 ans consommaient moins de calories et de lipides en 1987 qu'en 1977 (Schlicker et al., 19946). Chez des enfants anglais âgés de 1,5 à 2,5 ans les apports en énergie sont passés de 1264 à 1045 kcal/jour de 1967 à 1993 (Gregory et al., 19957). Dans le même temps les lipides diminuaient, et le pourcentage de protéines augmentait. […]

En moyenne, [en France], à l'âge de 1 an, les apports en lipides sont faibles (environ 28 % de l'énergie totale consommée) et les apports en protéines sont très élevés (correspondant à 16 % environ des apports énergétiques totaux et à 3 fois les apports de sécurité exprimés en g de protéines/kg de poids corporel, préconisés par l'OMS). Cet équilibre des nutriments est très éloigné de la composition du lait maternel riche en lipides (50 % de l'énergie) et contenant une faible proportion de protéines (7 %). La composition du lait maternel est bien adaptée aux besoins élevés en énergie des enfants au début de la vie. […]

Les conseils concernant la restriction des lipides, justifiés chez l'adulte ne devraient pas s'appliquer aux enfants. Il n'existe d'ailleurs pas de recommandations en France, préconisant la réduction des graisses chez les jeunes enfants.8 »

Si les chercheurs sont donc plus que réservés sur l’impact négatif majeur des matières grasses sur l’obésité infantile9, le discours social véhiculé par les pouvoirs publics et le corps médical est pourtant celui d’une limitation drastique de la consommation de matières grasses chez les enfants. C’est ainsi que la Fédération Française de Cardiologie, dans une lettre ouverte diffusée en 2005 (cf. figure ), encourage les parents à contrôler l’alimentation de leurs enfants et en particulier à réduire la consommation de graisses : « L’excès de poids est avant tout causé par un déséquilibre entre ce que mangent nos enfants, quantitativement et qualitativement et leurs dépenses énergétiques. Dans beaucoup de familles, l’alimentation des enfants est trop riche, particulièrement en graisses et en sucre. »

Affiche publiée par la Fédération Française de Cardiologie dans le cadre de la semaine du cœur, septembre 2005.


De la même manière, le programme national Nutrition Santé, lancé par le Ministère de la Santé et des Solidarités et l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé, fournit tout un ensemble de recommandations pour les parents concernant l’alimentation de leurs enfants, dès la naissance. Là aussi, le message d’une réduction des graisses est bien présent dès le plus jeune âge :

« La deuxième phase de diversification de 8/12 mois à 3 ans. A limiter : sucre, miel et chocolat ; les aliments riches en graisse. […]

De l’enfance à la pré-adolescence (3 à 11 ans). Les matières grasses sont indispensables mais en quantité très modérée. En effet, qu’elles soient d’origine végétale (huile, mayonnaise, margarine) ou animale (beurre, crème fraîche, saindoux, graisse d’oie), elles sont toutes très caloriques.

Limitez la consommation des graisses ajoutées (sauces, beurre, graisses de cuisson et fritures…).10 »

Pourquoi une telle incohérence entre les travaux de la recherche et le comportement social ? Sans rejeter l’ensemble des conseils diététiques visant à améliorer sa condition physique, pourquoi un tel suivisme social sur des positions finalement peu justifiées ? Remettre en question l’opinion majoritaire est socialement délicat, d’autant plus qu’elle est entretenue par ceux qui sont censés garantir l’intérêt général (pouvoirs publics, médecins) : « Pour prouver que le jugement majoritaire est faux, inopérant, il faut disposer de critères autres que celui du consensus, qui s’impose d’autant mieux de lui-même que, symbolisant le vrai, il n’a plus besoin d’être mis à l’épreuve. Or il s’agit là d’une entreprise difficile, coûteuse tant socialement que psychologiquement. … A l’inverse la réponse minoritaire apparaît d’emblée douteuse, fausse.11 » Dans le cas des matières grasses notamment, remettre en question que le surpoids ne serait pas lié uniquement à un excès de graisse dans l’organisme semble contredire une vérité absolue, observable par tout un chacun en voyant les éventuels petits bourrelets de son propre corps.

« Nous avons chassé les prêtres qui prétendaient gouverner notre vie, mais… nous croyons à la propagande des laboratoires pharmaceutiques, à la rhétorique des discours de santé publique et aux déclamations des épidémiologistes, ces médecins qui ont trouvé le moyen de ne soigner les malades que par des traitements… statistiques.12 »

1 Ca m’intéresse. Hors-série n°8. Mai-juin 2005.

2 Muriel Gineste. « Soigner, prévenir… éduquer le mangeur : mythe ou réalité ? ». XVIIème congrès de l’AISLF. Tours juillet 2004.

3 Selon un sondage réalisé par TNS-SOFRES (Les patients et l’information santé) en mars 2003, 97% des gens font confiance à leur médecin en matière d’information de santé et 89% font confiance à leur pharmacien. De plus, l’information la plus attendue dans les présentoirs des cabinets de médecin est une information sur l’équilibre alimentaire (citée par 53% des personnes interrogées)

4 Etude des comportements de consommation et d’achat des viandes et volailles chez les consommateurs français. Conférence de presse du 14 avril 2005. CSA.

5 Nicklas TA, Webber LS, Srinivasan SR, Berenson GS. Secular trends in dietary intakes and cardiovascular risk factors of 10-y-old children: the Bogalusa Heart Study (1973-1988). Am J Clin Nutr. 1993 Jun;57(6):930-7.

6 Schlicker SA, Borra ST, Regan C. (1994). The weight and fitness status of United States children. Nutr Rev. 1994 Jan;52(1):11-7. Review.

7 Gregory J, Collins D, Davies P, et al. 1995. National Diet and Nutrition Survey: Children aged 1.5–4.5 years. Vol 1. Report of the Diet and Nutrition Survey. London: HMSO

8 Epidémiologie et déterminants possibles. Marie-Françoise Rolland-Cachera. 9e Congrès national des Observatoires régionaux de la santé, 28-29 septembre 2000

9 Voir aussi : Souccar, T & Robard, I. (2004) Sante, mensonges et propagande - arrêtons d'avaler n'importe quoi. Le Seuil.

10 www.mangerbouger.fr. Programme national nutrition-santé. Ministere de la Santé et des Solidarités. INPES : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. De l’enfance à la pré-adolescence (3 à 11 ans).

11 Paicheler H. et S. Moscovici (1984), Suivisme et Conversion. In Moscovici, Psychologie Sociale, Presses Universitaires de France (p156).

12 « La pathologisation de l’existence ». Intervention de Roland Gori, psychanalyste et professeur d’université, dans le numéro hors-série du Nouvel Observateur : « Les nouvelles addictions ». Mai/juin 2005.

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